Les grands défis du Président Ghazouani

dim, 28/07/2019 - 00:54

Sid’Ahmed OULD KHOU, Ancien fonctionnaire de l’ONU Le discours de candidature du Président élu a été un moment fort qui a créé beaucoup d’espoirs avec la promesse d’une rénovation ambitieuse et juste ; ne laissant personne au bord du chemin. Nous avons été particulièrement séduits par l’invite formulée par le candidat : « Je ferai preuve d’une écoute attentive et d’un esprit ouvert à toute contribution positive et à toute idée constructive ». Réagissant à cette invite, nous avons choisi de mettre en exergue deux problématiques qui nous paraissent fondamentales car elles affectent tout le reste.

Les plus grands défis du Président Ghazouani ne sont pas ceux auxquels on pense nécessairement. Son programme est complet et ses engagements réalistes. Cependant le Président va buter -comme ses prédécesseurs - sur deux difficultés majeures : la faiblesse des ressources humaines (à quelques exceptions près) et la difficulté de réformer des pesanteurs sociales rétrogrades arrimées au degré zéro du civisme.

N’ayons pas le complexe de reconnaître que, dans l’ensemble, nos ressources humaines laissent à désirer et cela s’explique par des raisons objectives : la jeunesse de l’Etat, le manque d’une politique de formation continue, … Et lorsque le personnel est bien formé, il se trouve dans bien des cas que les compétences ne correspondent pas au poste en question !

Tous les profils doivent être revisités sans tabou afin d’opérer une meilleure adéquation entre les hommes et leurs fonctions. Le diplômé de l’ISERI doit-il diriger un lycée technique ? La direction de l’hôpital public doit-elle revenir à un médecin ou plutôt à un gestionnaire spécialiste de l’économie médicale ? …

Toutes les politiques sectorielles doivent être élaborées par des experts en la matière, exécutées par du personnel bien formé, ensuite évaluées pour mesurer le niveau de réalisation des objectifs. N’est-ce pas l’importance du savoir fortement valorisée dans notre système moral et politique : « Dis : "Sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas? " Seuls les doués d'intelligence se rappellent » (verset 9 de Sourate Az-Zoumar).

L’intégration de notre pays dans la communauté internationale offre comme chance exceptionnelle le partage de l’expérience et des meilleures pratiques (best practices). Aucun pays ne peut réussir sa lutte contre la pauvreté sans tenir compte de l’expérience des autres ainsi que des études et recherches pertinentes. Par exemple, une étude récente de l’Université d’Oxford a montré les dimensions cachées de la pauvreté ainsi que les facteurs qui agissent sur l’intensité de la pauvreté.

Le monde n’est plus ce qu’il était. Les politiques économiques et sociales deviennent de plus en plus complexes. Les expériences dans le reste du monde ne peuvent tout simplement plus être éludées comme si elles n’existaient pas. Il est insensé d’inventer la roue dans le village planétaire. Nous tombons souvent dans les travers de la suffisance et de l’improvisation !

Pourquoi notre système scolaire est-il un échec ? Pourquoi le pourcentage de réussite au Bac chez nous correspond au niveau de l’échec chez les autres ? Qu’en est-il de la déperdition scolaire ? De l’inadéquation des formations avec le marché de l’emploi ? etc., etc.

Autant de questions auxquelles il faut répondre en toute objectivité pour pouvoir avancer sur des bases solides. Ecartons -le temps d’un diagnostic - aussi bien les laudateurs hypocrites que les nihilistes subversifs. Il s’agit d’un travail purement technique !

Tout cela ne peut réussir sans une culture de la responsabilité tout au long de la chaîne de commandement. Chacun doit être récompensé pour sa réussite tout comme il doit assumer les conséquences de son échec. C’est pourquoi les missions doivent être claires et les objectifs quantifiables. Si cela n’est pas systématique, on peut s’attendre à tout ! Ce n’est pas une mince affaire mais le jeu en vaut la chandelle !

Quant aux pesanteurs sociales, le travail de réforme est immense. C’est le chantier d’une coopération par excellence entre toute la classe politique, toutes les forces vives de la Nation. Réussir la transition d’une société traditionnelle de castes, clanique, multiethnique et pauvre vers une société moderne de citoyens libres et égaux, une société composée de citoyens dont la première allégeance est à la Nation, une méritocratie où la transparence règne…

Nous avons une société au mille agendas particularistes : chaque tribu tire la couverture de son côté, chaque fraction dans la tribu, chaque famille dans la fraction, chaque région, chaque ville, chaque village, … La politique du village passe avant la politique nationale. Concessions au niveau national pour préserver le douar…Mais où va -t’on avec une mentalité pareille dans un monde où de puissantes nations se coalisent pour survivre ! Tant que l’Etat Providence ne joue pas pleinement son rôle, on peut comprendre ceux qui se cramponnent à toute planche de salut, même incongrue…Il faut dire que la classe politique n’a pas un discours civique et citoyen à quelques rares exceptions. Les électeurs sont caressés dans le sens du poil surtout en période électorale, puis lâchés jusqu’aux prochaines échéances…

Face au manque flagrant de civisme, il serait souhaitable que nos programmes renforcent l’enseignement de l’éducation civique à tous les niveaux : du primaire à l’université. Tout comme il serait opportun d’examiner la possibilité de l’instauration d’un service militaire ou d’un service civil national qui contribuera à concilier davantage la jeunesse avec la Patrie, une jeunesse de plus en plus perdue et qui risque de sombrer corps et âme dans les futilités. Ceux d’entre nous qui avons eu la chance de faire l’unique service militaire de 1974-75 peuvent témoigner de valeurs acquises ; la discipline, le respect de l’autre, le civisme, le patriotisme, l’esprit d’équipe, la bonne préparation physique et morale, … Cette ineffable expérience a fait découvrir l’Armée à des dizaines de jeunes dont certains de nos généraux actuels.

Notre pays est déroutant et notre société l’est davantage. On est en présence d’un système complexe doté d’une intelligence maléfique qui génère une résistance au changement, des anticorps qui phagocytent toute réforme par une détection des brèches potentielles et des angles d’attaques sournoises.

Le défi du Président Ghazouani sera de nous arrimer à la modernité, pas moins que cela ! C’est un travail qu’il ne peut réussir tout seul et cela conditionne la réussite de son programme.

Le plus frustrant, pour plusieurs, dans la campagne du Président élu c’est qu’il n’a pas accepté le jeu des apartés ; ce qui lui a permis de s’affranchir des promesses particularistes. Nous sommes certains qu’avec les principes et valeurs contenus dans son discours du 1e mars, il réussira à nous mener à bon port.

Notre pays est devant un tournant et nous avons besoin d’un Plan ambitieux, celui d’une « Mauritanie Emergente ».

Qu’Allah préserve la Mauritanie, forte et prospère !