ARTISTE CHANTEUSE : Dior Mbaye, l’authenticité en gamme majeure

sam, 14/03/2020 - 10:33

 Dior Mbaye est de cette graine de jeunes talents qui redorent le paysage musical sénégalais. Bien moins prolifique que la plupart de ses compères, elle est tout de même parmi les plus en vue et les mieux appréciés en ce moment. Elle s’enveloppe d’une authenticité certaine, d’une intelligence artistique charmante et est pleine de bonnes convictions.

Par Mamadou Oumar KAMARA

Depuis 1996, date de sortie du film « Tableau ferraille » de Moussa Sène Absa, « Neeko Demna » illustrait au Sénégal toutes les scènes et situations de rupture, de séparation ou de divorce fracassant. Autant dans la réalité que dans les fictions. Ce titre, signé Souleymane Faye, morceau de la bande originale du film à succès tourné à Yarakh, a connu les premiers vrais grains de sable dans son moteur de référence dix-neuf ans plus tard, sans toutefois connaître de panne. En 2015, le titre d’une autre bande originale, celle de la série « Un café avec … », lui grille gentiment la politesse.

 Les Sénégalais venaient de découvrir, à cette date, « Demnaa ». Un son duquel résonne tel une foudre la voix puissante et affriolante de Dior Mbaye. Un beau rossignol venait d’éclore avec la manière. Les agréables ondulations vocales de la jeune femme font frissonner les sens. Ses trémolos justes et ses ballades entre l’anglais et le wolof peignent une couche de merveille. Sa voix aguichante et suave voile les complaintes de la femme maltraitée qui font le thème du morceau. Un timbre vocal dont elle prouve l’authenticité au moment de cet entretien, quand elle fredonne les airs du mythique « Aayo néné » pour bercer son petit garçon tombé du fauteuil de son salon. Des prédispositions exaltantes que la jeune dame de 30 ans est aussi allée apprendre à bien transmettre.

Bachelière, elle méprise les hautes études universitaires. La conjoncture sociale avait dicté la boussole. Elle était l’aînée et payait ses transports de « car rapide » avec les économies d’une mère débrouillarde qui gérait une fratrie orpheline de père dans leur chaumière à Guédiawaye. Sommée par l’urgence, Dior prend le pari de forcer la porte la moins lourde en aiguisant son don de diva crochu à son Adn de « guéweul » (griotte). Elle s’inscrit à la Maison de la culture Douta Seck, où elle se forme au solfège. Elle y apprend aussi à gratter la guitare. « Je sais lire parfaitement la musique et je travaille même mes mélodies », confie Dior. D’ailleurs, à cette période, elle « a découvert » avec les Sénégalais son premier tube. Incognito. Même après une courte expérience en actrice de série télévisée. Là, elle chante en wolof, en français et en anglais. « J’apprends avec ma curiosité et mes lectures », sourit-elle.

Résilience

Ses efforts de trimarde commencent par payer en 2016, avec son troisième single, « Baaraaaw ». Elle remporte le Quarma awards à Bamako (Mali) dans la catégorie Meilleur espoir africain de musique d’expression africaine. Les organisateurs ont primé « l’authenticité du style musical, les sonorités traditionnelles et l’identité sénégalaise ». Autant elle se réjouit que son profil ait ébloui le plateau africain, autant elle regrette que le Sénégal n’ait pas assez bien promu son prix glané devant de grandes stars de la musique africaine. Mais elle a décoléré depuis lors, faisant encore parler sa forte résilience.

« Maalafal », son quatrième et dernier single publié, il y a deux mois, a fait oublier ses quatre années de léthargie. Le clip vidéo enregistre près de quatre millions de vues sur Youtube et des milliers d’internautes reprennent le refrain dans leurs shorts films sur les réseaux sociaux. Le titre est un pur sucre d’afro beat, avec une subtile et furtive dose de mbalakh portée par le tama. Il parle aux jeunes couples, évoque leurs arômes, leur déconseille les dérives regrettables et les encourage au mariage. « J’ai écrit la chanson et l’ai révisée à maintes reprises pour que le produit fini puisse être agréablement consommable. Je m’attendais à un succès au regard du travail et de toute la technique qui lui sont consacrés. Mais j’avoue que toute cette effervescence et cet enthousiasme autour m’a un peu surprise », reconnaît Dior Mbaye.

La musique a été arrangée par Rockteam Music et travaillée par le beat maker Jeuss, après qu’elle a elle-même travaillé sur la mélodie. Elle est avec ces jeunes talents, après sa rupture avec la maison de production Gelongal, au bout d’une collaboration de huit ans. « J’ai rompu avec eux parce que j’ai estimé avoir atteint ma maturation. J’avais, du moins, assez engrangé pour ce que je cherchais en intégrant ce label. Ils m’ont grandement aidée et m’ont inculquée les bases nécessaires pour tracer mon chemin d’artiste. C’est avec eux que j’ai appris les gammes pentatoniques, les ressources maliennes, à discipliner ma voix de « gueweul » et beaucoup d’autres clefs techniques. Ensuite, puisque c’est une structure qui maille l’Afrique, ils m’ont également permis d’attiser ma culture musicale », témoigne l’artiste, reconnaissante. Toutes dispositions qui lui permettent aujourd’hui de ne pas se circonscrire dans un style de prédilection. « Ma philosophie est d’explorer tous les univers musicaux dans lesquels je pourrai exprimer mon talent et me sentir à l’aise ». Des couleurs qu’elle promet d’enduire dans l’opus qu’elle prépare.

« L’album est déjà prêt. Mais je ne me presse pas. J’attends juste un producteur qui puisse valoriser et exporter tout ce travail. Les jeunes artistes soutiennent de plus en plus qu’ils n’ont pas besoin de producteur ou de staff. Mais moi, je dis que c’est indispensable », estime Dior Mbaye. La jeune diva pense que l’artiste ne doit se concentrer que sur son art et laisser la logistique à des personnes qualifiées et compétentes. Elle ne souhaite pas se disperser. Elle confie que c’est déjà suffisant d’écrire ses chansons et de composer la majorité avec sa guitare. Comme elle le fait jusque-là, elle participe aussi à l’éveil citoyen avec des thèmes pertinents. En plus d’être pertinente et patiente, Dior Mbaye est casanière, discrète et réservée.

Femme de valeurs

Elle choisit de s’enfermer pour produire de la qualité et éblouir les mélomanes. Elle croit profondément que c’est la bonne décision, tout comme en sa bonne étoile, d’autant plus qu’elle est bien adoptée par le public avec juste quatre titres en cinq ans.

Présentement, elle passe inaperçue dans la rue et se plaît bien à cela. Elle a la conviction qu’une artiste ne doit pas s’afficher à outrance, une femme encore moins. « Et je suis mariée », s’esclaffe-t-elle avec ce rire qui ne la quitte presque jamais et qui dévoile une charmante denture blanche qui crée un beau contraste avec sa noirceur d’éclat.

L’authenticité évoquée plus haut revient souvent dans son discours. Elle la proclame à souhait. D’après elle, au-delà de la musique, il lui paraît nécessaire de porter la veste de la femme africaine de valeurs. « Je prône l’authenticité et la correction de l’Africaine. Je crois à la sauvegarde des vertus traditionnelles et de notre éclat de Négresse. C’est essentiel », clame avec force Dior Mbaye, parfaitement placée pour dire ce plaidoyer. À son avis, la peau noire est belle et ne doit pas être dégradée. C’est pourquoi elle s’engage à porter le combat contre la dépigmentation artificielle qu’elle qualifie de « véritable drame sociétal ». Elle porte l’espoir de pouvoir dissiper avec sa voix la supériorité du phénotype blanc, aujourd’hui considéré comme le standard de beauté par la gent féminine africaine. Ce vœu est cependant placé derrière sa grande passion de la musique. Un art par lequel elle veut se distinguer en ténor et en ambassadeur des cultures du Sénégal.