« Luanda Leaks » : le rôle trouble des géants de l’audit

mer, 22/01/2020 - 01:24

 

Le Monde Afrique - Les grandes entreprises de conseil ne sont pas assujetties aux mêmes contraintes que les banques. Un défaut de régulation qui a largement profité au clan dos Santos.

« Ces gars ont entendu parler d’Isabel dos Santos et ils ont couru comme le diable face à la Croix », écrivait en 2014 un conseiller financier d’Isabel dos Santos dans un courriel. Ces « gars » sont de la banque espagnole Santander qui, comme la Deutsche Bank, estime alors trop risqué d’accepter les fonds de la fille du président angolais.

Les plus grands cabinets de conseil et d’audit de la planète, eux, n’ont pas vraiment eu ces préventions. Ils ont même joué un rôle crucial dans la facilitation des affaires du clan dos Santos en acceptant sans barguigner de mettre leur expertise au service de ses sociétés offshore.

Selon les « Luanda Leaks », les cabinets affiliés à Prince Waterhouse Coopers (PwC) ont facturé, entre 2012 et 2017, plus d’un million de dollars de services à des sociétés contrôlées intégralement ou en partie par Isabel dos Santos et son époux, Sindika Dokolo. Le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group (BCG) leur a transmis des factures pour au moins 4,3 millions de dollars (3,87 millions d’euros) entre 2010 et 2017, dont plus de 3,5 millions de dollars pour un contrat de sous-traitance commandé par la société maltaise Wise appartenant au couple.

Le fait que ces sociétés aient pu être soupçonnées d’aspirer des fonds publics n’a pas posé de problème à ces cabinets. « Il y a des choses qu’on ne voulait pas savoir », dit aujourd’hui un consultant d’un grand cabinet de conseil. Un autre ajoute, plus lapidaire : « Nous ne sommes pas une banque et notre industrie n’est pas régulée. »

Ces multinationales de l’audit et du conseil ne sont en effet soumises à aucune réglementation antiblanchiment, que ce soit en Europe comme aux Etats-Unis. Elles n’ont pas non plus d’obligation légale de se renseigner sur leurs clients. Pour encore un peu plus diluer leur responsabilité, la structuration de ces entreprises mondiales repose sur des franchises locales affiliées à une maison mère mais indépendantes sur le plan de la responsabilité juridique.

Failles fiscales

« Les grands cabinets d’audit et de conseil profitent d’une régulation a minima et refusent systématiquement d’être assujettis à des réglementations plus contraignantes, explique Sophie Lemaître, spécialiste des flux financiers illicites dans le secteur extractif. Le profit prime sur l’éthique et dans leur milieu, le jeu, c’est de jouer avec la règle, sans se poser la question de savoir si leurs conseils conduiront à du blanchiment ou de l’évitement fiscal et encore moins la question de l’impact que cela peut avoir. »

C’est ainsi qu’elles ont pleinement profité des largesses du clan dos Santos, en conseillant l’Etat angolais sur des réformes économiques stratégiques et la mise en place de régulations. Tout en vendant leurs services aux sociétés offshore d’Isabel dos Santos et de son mari pour faciliter et crédibiliser leurs affaires, voire leur permettre de mieux tirer profit des avantages et des failles fiscales de chaque juridiction.

Comme lorsque des consultants de PwC conseillent, en 2017, à un groupe de distribution de Mme dos Santos de créer une société offshore à Malte ou à Singapour pour bénéficier de taux d’imposition « très compétitifs », peut-on découvrir dans les « Luanda Leaks ».

Contacté par ICIJ, Boston Consulting Group dit avoir pris les mesures nécessaires pour « éviter la corruption et d’autres risques » en Angola. PwC refuse de réagir sur des points précis, mais assure avoir « mis fin à tout travail en cours » avec des sociétés liées ou contrôlées par Isabel dos Santos et Sindika Dokolo.

Par Joan Tilouine