« La dette actuelle doit être totalement ou partiellement reportée indéfiniment »

jeu, 23/04/2020 - 11:11

lemonde.fr

 

Albert Marouani

Professeur émérite en sciences économiques, Groupe de recherche en droit, économie, gestion (Gredeg, CNRS-université Côte-d’Azur)

L’économiste Albert Marouani invite les gouvernements à renoncer aux dogmes de la théorie monétaire pour se libérer d’une manière de penser qui considère toute création monétaire comme une dette qui doit avoir obligatoirement une contrepartie symétrique.

Publié aujourd’hui à 07h00   Temps deLecture 4 min.

Tribune. Une majorité des décideurs économiques et politiques se représentent la macroéconomie à partir d’une vision dans laquelle l’équilibre monétaire comptable est érigé en principe absolu qui contraint non seulement les ménages et les entreprises mais aussi les Etats.

Par exemple, à propos de la soutenabilité de la dette publique, on entend souvent l’argument que celle-ci serait devenue une charge insupportable pour les générations futures. Mais on confond ici la dette privée d’un particulier et celle d’un Etat. En réalité, de génération en génération, à l’échelle macroéconomique d’un pays, on transmet non seulement les dettes mais aussi les créances. Un Etat endetté dans sa propre monnaie ne peut pas faire faillite car ce qu’il met dans la poche droite pour rembourser sa dette, il le prend dans la poche gauche par prélèvement fiscal et in fine, globalement, le solde est nul.

Les seules questions pertinentes qui se posent au niveau macroéconomique découlent des effets redistributifs et incitatifs du paiement des annuités de la dette publique, en termes d’équité et de justice sociales, et de leur impact sur la création nette de richesses (la croissance du PIB). Le seul risque du défaut pour un Etat souverain concerne la partie de sa dette publique qui est détenue par des agents étrangers, et qu’il ne peut rembourser dans sa propre monnaie.

Aujourd’hui, avec des taux d’intérêts proches de zéro, voire négatifs, la dette publique des pays de l’Union européenne (UE) peut augmenter sans risque sur un horizon temporel somme toute assez court (moins d’un an de confinement, selon les prévisions des épidémiologistes). Le seul obstacle à la mise en œuvre de cette politique par les décideurs des pays de la zone euro tient à leur vision idéologique purement comptable des équilibres macroéconomiques, notamment dans un contexte de « vases communicants » du fait de la monnaie unique.

Appel incantatoire

Celle-ci apparaît encore plus dans les circonstances présentes comme un frein à l’ajustement asymétrique des économies de l’UE, et il est peu probable que l’appel incantatoire à l’idéal de solidarité soit un argument convaincant pour l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Finlande. La question d’une redéfinition de l’euro en deux sous-ensembles monétaires (« euro-Nord » et « euro-Sud ») doit être rapidement posée si on veut éviter que, sous la pression des populismes et des nationalismes, de nombreux pays quittent en désordre la zone euro, voire l’UE.

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