Un projet visant les chômeurs, les personnes « non éduquées » et les réfugiés divise

mer, 05/02/2020 - 18:55

 

Les intervenants à la conférence d’hier (de gauche à droite : Mohammad Itani, Mariam Akoum, Hassan Fakih, Wafaa Haidamous Hallassou). Photo DR

INITIATIVE

Ce programme de 2 millions d’euros a l’ambition de former une centaine de sans-emploi par an pour qu’ils aient accès au marché du travail.

 

Magaly ABBOUD | OLJ

 

Beaucoup de Libanais ont perdu leur emploi à cause de la crise économique et financière que traverse le pays depuis plusieurs mois et qui s’est accélérée en 2019. C’est dans ce contexte que l’Union européenne (UE), l’entreprise BCTS (Business Consultancy and Training Services) et ENI CBC Méditerranée, une association œuvrant pour la coopération entre les pays méditerranéens, ont présenté hier à Beyrouth un projet visant à former des chômeurs, des personnes « non éduquées » et des réfugiés. Mais le fait qu’il s’adresse également à cette dernière catégorie a fait grincer les dents de plusieurs parmi les personnes présentes dans la salle lors de la conférence, certains étaient même révoltés.

Intitulé « More Than a Job » (plus qu’un travail), le projet s’inscrit dans une initiative régionale qui a pour but la collaboration entre les administrations publiques et les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Il a débuté depuis septembre simultanément dans cinq pays méditerranéens, qui sont la Palestine, la Jordanie, la Grèce, l’Italie et enfin le Liban. Doté d’un budget total de 2 millions d’euros (2,21 millions de dollars au taux d’hier), il s’étale sur trois ans, et doit donc en principe être clôturé en septembre 2022.

Les 2 millions d’euros alloués au projet ont été financés à 90 % par l’UE, les 10 % restants étant assurés par le cofinancement (à travers les partenaires). Le projet s’inscrit dans le cadre du programme Bassin méditerranéen qui s’élève à 85 millions d’euros (93,87 millions de dollars), et qui a déjà financé 26 projets sur les 41 prévus, dont « More Than a Job ». Ce projet a déjà formé des fonctionnaires travaillant dans les institutions publiques en charge de l’emploi, comme le ministère du Travail, de l’Éducation et des Affaires sociales. L’économie sociale et solidaire rassemble essentiellement des ONG, des coopératives et des entreprises sociales. À noter que les personnes handicapées ne sont pas incluses directement dans ce programme, et ne peuvent l’être qu’indirectement si elles « ne sont pas éduquées ».

Le principal objectif de « More Than a Job », est d’offrir des formations pour exercer des métiers manuels – sans préciser lesquels – à une centaine de chômeurs par an, principalement des personnes « non éduquées » et des réfugiés syriens et palestiniens, quel que soit leur âge, afin de pouvoir leur ouvrir les portes du marché de l’emploi. Cela doit permettre, selon la directrice de l’entreprise qui offre les formations au Liban BCTS, Wafaa Haidamous Hallassou, de « leur redonner la confiance en soi et la dignité ».

Au Liban, en Grèce et en Italie, les formations seront assurées par des sociétés locales (BCTS en ce qui concerne le pays du Cèdre) contrairement à la Jordanie, où l’Université de Mutah, dans l’est du pays, et le ministère des Travaux publics et de l’Habitat ont été mis à contribution. Dans les territoires palestiniens, c’est l’Université al-Najah de Naplouse en Cisjordanie et de la Chambre de commerce de la ville.

Toujours est-il que le projet qui bénéficie également aux réfugiés installés au Liban a été plutôt mal accueilli par une partie des personnes présentes lors de la conférence de presse, dont les principales critiques ont porté sur le fait qu’il ne s’adresse pas exclusivement aux Libanais, surtout dans le contexte de crise actuelle.

(Lire aussi : Plus de 35 % des jeunes diplômés libanais au chômage, alerte l’ACS)

Le système éducatif libanais
Certaines voix ont néanmoins défendu le projet, à l’image du président par intérim de la Confédération générale du travail au Liban (CGTL), Hassan Fakih, qui a assuré que la moitié des bénéficiaires ne seront pas des réfugiés syriens, sans toutefois explicitement affirmer qu’il s’agirait de Libanais. Il a également insisté sur le fait qu’il était nécessaire de « former les réfugiés syriens, pour qu’ils puissent travailler en Syrie ». À noter que le site web du projet précise que les bénéficiaires sont les « chômeurs, avec un focus sur les personnes nouvellement arrivées et les réfugiés ».

La situation économique et financière du pays s’est en effet fortement dégradée ces derniers mois, sur fond de manifestations contre la classe politique et de restrictions bancaires qui ont provoqué d’importants problèmes de liquidités. Cette conjoncture a poussé de nombreuses entreprises à réduire les salaires de moitié, ou encore à licencier une partie de leurs effectifs. Il n’existe aucun chiffre mesurant l’impact de la crise sur le marché du travail. La dernière étude disponible a été publiée par l’Administration centrale de la statistique (ACS) en décembre dernier, portant sur la période entre avril 2018 et mars 2019. L’ACS indique que le taux de chômage s’élève à 11,4 % de la population active. Celui des jeunes de 15 à 24 ans a atteint 23,3 %, tandis que celui chez les jeunes diplômés culmine à 35,7 %.

Le système éducatif libanais a d’ailleurs été montré du doigt durant cette conférence. Un consultant spécialisé dans l’éducation, Nabil Constantine, a mis en avant le fait que « 70 % des écoles au Liban sont privées, alors que dans les autres pays, ce taux ne s’élève qu’à 5 %, l’État s’occupant de l’éducation ». L’association Moubadarat wa Kararat a lancé une application mobile pour la recherche d’emploi, « Local Job Market », qui selon son président Dal Hitti rassemblait hier matin « 3 800 opportunités d’emploi, pour 17 000 candidats ». Mais « les jeunes n’ont pas les compétences demandées sur le marché car ils ne sont pas préparés pour le travail, mais pour le diplôme », d’après M. Hitti.