Des hôtesses lors de la course du Bol d'Or, au Castellet en 2017. Boris Horvat, AFP
Texte par :Ana BenabsSuivre
Pour subvenir à leurs besoins, de nombreuses étudiantes en Europe travaillent pour des agences d'hôtesses. Mais les missions proposées ne sont pas de tout repos, entre conditions de travail difficiles et harcèlement sexue
Le 19 janvier 2019, Madison Marriage, journaliste du quotidien britannique Financial Times, s’est infiltrée dans un gala de charité en tant qu’hôtesse d’accueil. L’événement, réservé aux hommes, a été cauchemardesque pour la jeune femme, qui relate dans un long article le comportement des invités. La journaliste met en lumière la réalité d’un métier souvent très complexe, entre harcèlement sexuel et abus de pouvoir.
Lorsque France 24 a tenté de contacter une dizaine d’agences d’hôtesses françaises (Mahola, Charlestown, Trinity…), aucune n’a souhaité s’exprimer au sujet des conditions de travail de leurs employées. En revanche, de nombreuses hôtesses ont accepté de raconter leur quotidien. Elles ne se connaissent pas, ne travaillent pas dans les mêmes agences, et pourtant, leurs discours se ressemblent beaucoup.
"Une fois sur quatre, en mission, tu tombes malade"
Si les jeunes femmes sont toutes très souriantes sur les photos de galas et autres salons, les missions remplies sont loin d’être de tout repos. Chacune d’entre elles semble avoir au moins un souvenir plutôt douloureux de missions passées. Mélissa*, 23 ans, est hôtesse d’accueil depuis cinq ans. Pour elle, l’événement le plus compliqué à gérer fut l’une des éditions de Roland-Garros. "J’étais hôtesse à la tribune présidentielle", raconte-t-elle à France 24. "J’ai fait deux malaises parce qu’on était dehors, sous le soleil. Pas le droit de bouger, car on était filmées, et pas le droit d’avoir de bouteille d’eau avec nous." Louise*, 24 ans, a également travaillé durant le prestigieux tournoi de tennis, et en garde un souvenir amer : "Nous devions avoir une certaine posture de pieds, qui exigeait de passer huit heures avec les genoux rentrés en dedans".
Une histoire qui ressemble beaucoup à celle de Noémie*, hôtesse pendant quatre ans. "C’était à la Mairie de Paris lors d’un événement. On était sous la pluie, sans manteau, en robe et talons pendant une heure, avant que la cliente ne se dise : 'On va peut-être les bouger'. Ce qui s’est soldé par une angine d’une semaine. Toutes les missions où tu te retrouves dehors l’hiver, on te dit : 'Prends sur toi'. Une fois sur quatre en mission, tu tombes malade." Quand ce ne sont pas les conditions météorologiques, c’est le non-respect du code du travail qui met à mal les employées. "Je me suis retrouvée sur des missions à faire du 15 h-2 h du matin, sans qu’on nous donne à manger, alors qu’on le demandait", continue Noémie.
Des hôtesses lors du Grand Prix de Formule 1 de Monaco en 2015. ANDREJ ISAKOVIC / AFP
Yasmine*, elle, est élève avocate. Son job d’hôtesse lui permet d’avoir un revenu pendant ses études, mais ses connaissances en droit lui permettent d’en comprendre les rouages. "Dans quasiment toutes les agences que j’ai faites, ils ne respectent pas du tout le code du travail. Le repos quotidien de 11 h obligatoire, les pauses de 20 minutes, ils ne les appliquent pas, et quand on leur fait remarquer, leur réponse est évasive. Il faut toujours vérifier ses fiches de paie, ses contrats, ils essaient constamment d’arnaquer les hôtesses, qui généralement sont jeunes et ne font pas attention."
Léa*, 23 ans, est en alternance. Elle fait des missions pour arrondir ses fins de mois et avoue à son tour avoir souvent eu de mauvaises surprises. "Dans mon agence, ils ont du mal à refourguer certaines missions en banlieue, donc ils écrivent 'Paris' sur les annonces. C’est quand tu signes le contrat que tu te rends compte que c’est en banlieue, et c’est trop tard. Ensuite, il y a des petits trucs où l’on se fait avoir, comme les frais de taxis : un client nous a déjà dit qu’il donnait 30 euros de frais de taxi pour rentrer après 22 h, sauf que l’agence ne nous rembourse que 15 euros." Des combines qui reposent sur la précarité de l’emploi et le besoin de ces jeunes femmes de gagner de l'argent.
Domination masculine et capitalisme
Autre zone d’ombre dans le métier d’hôtesse : le harcèlement. Qu’il soit physique ou sexuel, il semble être inhérent à la profession. On le retrouve dans le reportage outre-Manche de Madison Marriage, mais également dans les témoignages des employées françaises. "Une fois, je m’occupais du vestiaire, pour la convention d’une grande marque", raconte Noémie. "Les invités avaient bien bu et un homme avait perdu son ticket de vestiaire. Il entre dans le vestiaire et je lui dis : 'Écoutez monsieur, non'. Il me pousse, me bouscule, me rentre dedans. La cliente était à côté, j’imagine qu'elle va réagir. Et finalement, elle me dit : "Non mais restez calme, vous savez, c’est l'invité, on peut rien dire'. Je suis littéralement en train de me faire agresser et bousculer et non, il ne faut rien dire." Yasmine* résume la situation de façon claire et concise : "Être hôtesse, c’est sois belle et tais-toi !". Une phrase qui revient constamment dans les témoignages.
Des hôtesses lors du Grand prix de Formule 1 de Belgique, en 2014. John Thys, AFP
"Ce n’est pas étonnant que ces comportements se retrouvent dans le métier d’hôtesse", nous explique Anne-Françoise Bender, maîtresse de conférences en gestion des ressources humaines au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). "Le jeune âge des employées ajouté à la précarité de l’emploi en font des cibles idéales." Des situations qui ne datent pas d’hier, puisque l’enseignante fait un parallèle avec d’autres professions, comme celle d’hôtesse… de l’air. "Les hôtesses de l’air sont là pour que les gens se sentent bien, elles sont habillées, coiffées et maquillées à la perfection. Cela renvoie au rôle de domestique, et peut encore une fois être sexualisé par certains hommes." Même constat du côté des métiers occupés par des femmes dans l’hôtellerie-restauration, comme le rapportait 20 Minutes dans un article publié en 2017. "C’est un phénomène de domination masculine en contexte de capitalisme", poursuit la chercheuse. "Il y a commercialisation, voire exploitation, de la beauté du corps des femmes pour un public parfois essentiellement masculin, et une position de service, donc de soumission". Un contexte peu sécurisant pour les jeunes femmes.
Yasmine se souvient de ces hommes qui "se permettent de te prendre par la taille, de faire des remarques sur tes fesses, tes seins, te demandent : 'Tu nous fais un strip-tease après ?'", du "t'es vraiment jolie" qui revient sans cesse, des propositions pour aller dîner ou boire un verre. Si elle essaie de faire comprendre aux plus insistants que "ça n’arrivera jamais", elle ne doit jamais être virulente. "On n’a pas le droit, on doit toujours sourire et être gentille."
Noémie s’est fait toucher plusieurs fois "le bas du dos, limite les fesses" au Salon de l’automobile. Un client de l'agence de Léa lui a déjà demandé si elle "faisait le tapin". Elles se sont tues, pour ne pas être renvoyées.
Et #MeToo dans tout ça ?
Pourtant en 2018, certains événements médiatiques avaient commencé à s’adapter à l’ère post-Weinstein. Au Salon de l’automobile par exemple, les hôtesses étaient vêtues de tenues plus sobres, et surtout moins courtes ou décolletées. Un pas en avant ? Pour Noémie, c’est loin d’être une révolution. "Ça ne change rien. À la rigueur maintenant, on te dit : 'Je vais arrêter de dire ça, sinon je vais me faire arrêter pour agression sexuelle', sur le ton de la blague. Pour eux, c’est une blague, ils n’en ont rien à faire. Ils ne s’arrêtent pas. Jamais."
Anne-Françoise Bender pense qu’il existe des moyens de faire cesser ces agressions. "Il faudrait d’abord que les agences forment les hôtesses à se défendre, qu'elle leur apprenne à réagir, à dissuader ou à trouver les bonnes formules pour stopper ces comportements déplacés. Cela pourrait passer également par le changement des tenues. L’ajout d’une veste pour imposer un statut, une autorité", avant de déplorer qu’une fois encore, c’est aux femmes de s’adapter aux comportements des hommes. Elle évoque aussi la nécessité de "créer des clauses ou des chartes de la profession. Ou mener des actions collectives en justice". Pour se faire entendre, d’une voix commune.
Une hôtesse lors de la Vietnam AutoExpo en 2011. Hoang Dinh Nam, AFP
Car, si certaines agences font un "retour au client pour le rappeler à l’ordre" en cas de comportement déplacé, comme nous l’a confié l’agence Axcess, d’autres font l’autruche. "Elles ne veulent pas perdre leur contrat", analyse Yasmine. "Leur objectif, c’est qu’aucun problème ne revienne aux oreilles des clients, même si une hôtesse s’est fait harceler ou s’est pris une main aux fesses." Car l’image doit, comme les tenues des employées, être impeccable. "Mais il y a aussi des agences très respectueuses", tempère-t-elle. "Elles vont vous payer les heures supplémentaires, embaucher n’importe quelle fille, quels que soient ses critères physiques ou son origine, et respecter le droit du travail. J’en connais une, c’est la seule pour qui je travaille encore." Elle n’a pas souhaité la citer, pour préserver son anonymat.
Certaines employées vont tenir grâce à l’esprit de camaraderie qui règne entre hôtesses. "Ce qui rattrapait tout ça, c’est qu’il y avait globalement une très bonne ambiance dans l’équipe, et une solidarité entre hôtes et hôtesses", admet Louise. "À la fin des missions de plusieurs jours, nous devenions souvent comme de petites familles, un peu comme une ambiance de colo." D’autres, comme Noémie, ont préféré abandonner. "Pour point de comparaison, je suis barmaid en boîte de nuit maintenant, et je m’y sens mieux que quand j’étais hôtesse", nous confie-t-elle. "Au moins, quand un mec t’emmerde, tu peux répondre."