RFI : Ce lundi, lors de votre allocution aux Français, vous avez bien sûr parlé essentiellement de la France. Mais vous avez aussi évoqué d’autres pays du monde. Vous avez notamment appelé à une annulation massive de la dette contractée par les pays du Sud. Est-ce à dire que votre inquiétude ne porte pas seulement sur la France, elle porte aussi sur l’Afrique?
Emmanuel Macron : Oui, très profondément. Parce que je pense que la période dans laquelle nous entrons et que nous sommes en train de vivre collectivement touche aujourd’hui tous les continents. Et nous voyons l’extrême difficulté à affronter ce virus et à apporter des réponses dans les pays les plus développés, les systèmes sanitaires les plus robustes : les États-Unis, l’Europe, la Chine… Quand on regarde aujourd’hui la situation de l’Afrique, sur le plan sanitaire, sur le plan économique, sur le plan climatique, il est évident que nous lui devons la solidarité.
Avant de parler de cette action coordonnée, un mot sur le risque lui-même. Depuis un mois, beaucoup prédisent une catastrophe sanitaire en Afrique. Mais ce n’est pas le cas. L’Afrique est même, pour l’instant, le continent le moins impacté par le virus, et le Pr Raoult, à qui vous êtes allé rendre visite il y a quelques jours à Marseille, dit : « L’Afrique est relativement protégée grâce à la consommation courante de traitements antipaludiques ». Il a cette phrase, puisqu’il est né à Dakar : « En Afrique, la chloroquine, on en a tous bouffé quand on était gosses. »
Moi, je ne suis pas médecin. Je ne suis pas spécialiste des maladies infectieuses comme le Pr Raoult, pour qui j’ai beaucoup de respect et que je suis en effet allé voir, pour comprendre et m’assurer que ce qu’il proposait était bien testé dans le cadre des essais cliniques.
J’attire l’attention de nos auditeurs : nous n’avons aujourd’hui aucun traitement reconnu. Moi, mon rôle, et ce que j’ai fait en me rendant chez le Pr Raoult, c’est de m’assurer que ce sur quoi il travaille, et c’est vraiment une de nos plus grandes sommités en la matière, rentrait bien dans le cadre d’un protocole d’essai clinique, qu’on pouvait aller vite pour s’assurer, en tout cas regarder, avec des méthodes qui doivent être simples mais rigoureuses, si ça marchait ou ne marchait pas. Aujourd’hui, partout dans le monde, il y a des essais cliniques qui sont lancés.
La France est le pays européen qui en a le plus lancé. La combinaison hydroxychloroquine-azithromycine, parce qu’il n’y a pas que l’hydroxychloroquine qui est proposée, c’est une bithérapie que propose le Pr Raoult, il faut qu’elle soit testée. Lui l’utilise et a son propre protocole. Il y a un protocole qui a été autorisé par les autorités compétentes à Montpellier. Et il faut qu’on avance, qu’on montre l’efficacité et qu’on mesure la toxicité.
Je dis ça parce qu’il faut être très prudent. Le président de la République française n’est pas là pour dire « tel traitement est le bon ou n'est pas le bon ». Mon devoir, c’est que toutes les pistes thérapeutiques poursuivies aujourd’hui puissent faire l’objet d’essais cliniques rigoureux, et les plus rapides possibles, pour qu’on trouve un traitement.
Donc en trois heures de présence auprès de lui, vous n’êtes pas sortis entièrement convaincu.
Ce n’est pas une question de croyance ! C’est une question de scientifiques. Je suis convaincu que c’est un grand scientifique, et je suis passionné par ce qu’il dit, et ce qu’il explique. En effet, il nous invite à être humble, parce que lui-même dit que les choses peuvent varier selon les saisons et les géographies, et qu’un virus réagit selon les écosystèmes. Donc peut-être qu’il y a ça en Afrique. Je dis juste qu’on doit s’assurer que partout, les essais soient faits, donc il faut que l'on reste collectivement très rigoureux.
Maintenant, sur le virus Covid-19 et l’Afrique, je vais être très clair avec vous. Je ne suis ni dans les catastrophistes, je ne veux pas être non plus dans les naïfs. Ce virus aujourd’hui, il touche tout le monde. Donc je ne pense pas qu’il faille collectivement dire qu’un miracle préserverait l’Afrique. En tout cas, si ça pouvait arriver, formidable, et je le souhaite profondément. Mais notre devoir est de tout faire pour aider l’Afrique dans ce contexte.
L’Afrique aujourd’hui a une vulnérabilité sanitaire : il y a le VIH, la tuberculose, la malaria… C’est d’ailleurs pour ça qu’on s’est mobilisés à Paris, en octobre dernier, pour le Fonds mondial, pour aider aussi l’Afrique en particulier à se battre contre ces grandes pandémies.
L’Afrique aujourd’hui est le continent le plus touché par le choc climatique et le changement climatique. Je pense à la Zambie, qui vient d’essuyer l’une des plus grandes sécheresses depuis 1981, les cyclones qui viennent de toucher le Mozambique, l’Afrique de l’Est qui est attaquée par les criquets, les difficultés qu’on connaît dans le lac Tchad et la sécheresse qui continue… Donc on parle d’un continent dont des dizaines de millions d’habitants aujourd’hui vivent dans leur chair ce qu’est le choc climatique.
On parle d’un continent qui vit la grande difficulté économique. Regardons les chiffres, là aussi : en 2012 en Afrique, on a une dette sur PIB qui est de 30%. Aujourd’hui, elle est de 95%. Donc les difficultés que je suis en train de décrire vont s’aggraver même si le Covid n’était pas une catastrophe sanitaire - et je ne sais pas dire aujourd’hui s’il ne le sera pas. Donc nous devons absolument aider l’Afrique à renforcer ses capacités à répondre au choc sanitaire et nous devons, a fortiori, l’aider à répondre sur le plan économique à répondre à cette crise qui est déjà là. Nous devons être à ses côtés.
C’est ce que j’ai voulu lancer au G20, il y a quelques semaines. Nous avons tenu une visioconférence, j’ai utilisé le temps de parole de la France pour dire : « On va se tenir ensemble, agir pour nos pays, et c’est déjà très dur. On doit absolument aider l’Afrique à s’en sortir. C’est un devoir moral, humain, pour l’Afrique et pour nous. » Et c’est ce que j’ai ensuite enclenché avec les leaders africains qui étaient là, dans un travail qui est la méthode à laquelle je crois : mobilisation pour l’Afrique et partenariat avec les leaders. Il y a dix jours, j’ai été invité par le président Ramaphosa à une réunion du Bureau africain par téléphone. J’ai pu échanger avec lui et plusieurs dirigeants, les présidents Abiy [Ahmed], [Paul] Kagame, [Macky] Sall, [Ibrahim Boubacar] Keïta, et Moussa Faki [Mahamat, le président de la Commission]. Et nous avons pu discuter des propositions que j’ai voulu faire à ce moment-là. C’est ce plan pour l’Afrique en quatre axes que nous avons bâti avec les leaders africains. On a aujourd’hui tous les leaders européens du G20, ainsi que l’Espagne, le Portugal et quelques autres, qui sont avec nous.
Concernant ce plan pour l’Afrique en quatre axes, commençons peut-être par l’axe sanitaire. Que peut-on faire pour les pays, africains notamment, qui manquent notamment de lits de réanimation? Que peut faire l’Europe? Que peut faire la France?
Mobiliser des financements de court terme. On a le Fonds mondial, et là-dessus Peter Sands [le directeur exécutif du Fonds mondial], le président Kaberuka [ancien président de la Banque africaine de développement] sont prêts à mobiliser une partie de ce qu’on a justement levé pour aller financer cet axe-là et financer des équipements de première nécessité pour secourir, sauver, protéger....
...Mais M. le président, ce Fonds mondial est contre le sida, contre le paludisme, contre la tuberculose. Est-ce qu’on ne risque pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul?
Non. Alors, vous avez parfaitement raison, il ne s’agit pas de détourner les 14 milliards qu’on a levés, mais de commencer avec quelques centaines de millions pour amorcer les choses.
Qu’est-ce qu’on veut faire avec ça ? On veut permettre d’absorber le choc, et donc de mobiliser les autres puissances du G20 pour permettre de monter les capacités et ce dont les systèmes de santé ont besoin aujourd’hui. On a besoin, vous l’avez dit, de lits, de respirateurs, donc il faut pouvoir acheter ces matériels. Nous, on est en train d’en reproduire pour nos propres systèmes, mais je veux qu’on puisse en produire au-delà pour aussi, ensuite, fournir nos partenaires africains. Et le déphasage entre, si je puis dire, nos pics épidémiques qui ne semblent pas arriver en même temps, j’espère, va nous aider. Il faut tout faire aussi, c’est pour ça que j’ai beaucoup parlé avec nos partenaires africains, pour qu’ils décident au maximum du confinement et qu’ils retardent l’épidémie. Plus ils la retardent, plus les Européens sont en situation de leur apporter de l’aide, parce qu’on n’aura pas les pics épidémiques au même moment.
Les deux maisons ne brûleront pas en même temps...
Écoutez, il faut tout faire, en tout cas, pour le ralentir partout. Et je pense qu’il est très important qu’on ait un peu ce décalage. Mais l’idée, c’est de pouvoir acheter ce matériel, de pouvoir protéger, de pouvoir répondre, et de pouvoir accélérer nos essais cliniques pour un traitement et un vaccin. Et de le faire, là, de manière synchrone. Et je pense que ce qu’on peut réussir, dans le cadre de cette pandémie, c’est ce qu’on n’a jamais réussi à faire et qui est, je crois, essentiel si on veut permettre à l’Afrique de résister et sortir le monde de cette épidémie. C’est de dire : « Sur les traitements et le vaccin, on a une approche qui est la diffusion en même temps, dans nos continents, du traitement et du vaccin, quand on l’aura trouvé. »
Donc l’idée, c’est de dire : on a, au niveau international, le CEPI [Coalition for Epidemic Preparedness Innovation], lancé par la Norvège, financé par beaucoup, qui fait de la recherche sur les vaccins en la matière. Il y a plusieurs initiatives en cours. On a le GAVI, lancé par la France et le Brésil il y a près de vingt ans, qui sert justement à diffuser ces innovations et à avancer. Le Gavi et le Fonds mondial doivent travailler ensemble sur cette pandémie, en particulier pour l’Afrique. On a Unitaid, qui sert justement à favoriser l’accès à la santé, à ses équipements et à beaucoup de choses. On a le Fonds mondial, qu’on évoquait. Tout cela, on doit réussir, avec l’OMS, à mettre à la fois une partie des financements, l’expertise qu’on a, c’est-à-dire la recherche formidable, mais aussi la diffusion, mobiliser les grandes fondations, je pense à la fondation Gates, à One et à plusieurs, qui ont mis beaucoup d’argent, de capital politique aussi dans cette affaire, et toutes les ONG… Pour dire : « On avance partout sur les essais cliniques et le traitement. Mais on se met en situation, le jour où on a un traitement, de le rendre accessible au continent africain en même temps qu’il sera accessible chez nous. » Donc pas d’histoires de propriété intellectuelle, pas d’histoires de délais, pas d’histoires de sous : on se met en capacité de le faire.
Et pour le vaccin, pareil ! Pour accélérer le manufacturing du vaccin le jour où on l’a, c’est-à-dire sa production en grande quantité, pour permettre aux pays développés comme aux pays en développement et aux pays pauvres d’y avoir accès dans les meilleurs délais. Et donc on brûle les étapes pour permettre de l’avoir au plus vite.
De ce volet sanitaire, on arrive donc au volet recherche. Il y a d’éminents épidémiologistes en Afrique, on l’a vu lors de la riposte contre Ebola. Malheureusement, il n’y a pas toujours les infrastructures nécessaires. Comment faire en sorte que tout soit connecté ?
Il y a beaucoup d’instituts de recherche français, internationaux. Vous parliez du Pr Raoult qui travaille lui-même, à l’IHU de Marseille, avec beaucoup de partenaires en Afrique, et qui me disait combien il était frappé de l’excellence de plusieurs centres, et de la qualité à la fois des chercheurs et des infrastructures...
...Il a travaillé avec l’IRD [Institut de recherche pour le développement], à Dakar.
Exactement. Il y a aussi l’institut Pasteur, qui a aussi une présence forte en Afrique. L’idée, c’est qu’on puisse articuler un réseau de compétences, d’expertises, qui permette à la fois de mutualiser le savoir entre ce que l’Asie, l’Europe, les États-Unis ont vécu, pour que très vite, ça se diffuse dans la communauté académique, de recherche, mais aussi de cliniques en Afrique. De permettre les échanges accélérés entre les pays, et c’est aussi pour ça que l’Union africaine a un rôle clef : elle est en quelque sorte ce qui va permettre d’étayer ce réseau. L’idée, c’est vraiment de créer ce réseau d’excellence africain, de centres d’expertise, pour le contrôle, la prévention des grandes pandémies telles qu’on est en train d’en vivre, et de créer une grande coalition pour la prévention de ces pandémies, et de s’assurer que les réseaux qui parfois, sont séparés les uns des autres, se mettent à travailler ensemble.
Vous savez qu’en Afrique, beaucoup de gens travaillent dans l’informel, et qu’ils travaillent le jour pour manger la nuit. Donc le confinement, ça ne marche pas. Sur le plan humanitaire, quelles sont les urgences ?
Vous avez parfaitement raison, et d’ailleurs beaucoup de présidents et de Premiers ministres africains que j’ai rencontrés m’ont fait part de cela. Il y a de l’économie informelle, il y a de la circulation régionale, le fait que pour manger, on ait besoin d’avoir accès aux lieux où on distribue la nourriture et de continuer à procéder de cette économie… Donc le confinement complet, comme on dit aujourd’hui en Europe, ne peut pas fonctionner exactement de la même manière. Il faut qu’il puisse malgré tout se mettre en place pour prévenir. Et donc il crée, si je puis dire, une situation dramatique au carré, qui est qu’on a les régions les plus vulnérables qui ont, en plus, un sujet d’accès à la nourriture, d’accès aux soins primaires. Et donc une crise humanitaire qui est en train de poindre. On l’a d’ailleurs parfaitement vu à chaque fois qu’Ebola intervient dans certaines régions.
On connaît cette situation. Notre crainte, c’est qu’elle se multiplie avec le Covid-19, qu’elle vienne se rajouter à ce que certaines pandémies créent. Et donc les populations et les régions les plus vulnérables ont en effet un besoin de réponse humanitaire. Là, la réponse passe par l’Organisation des Nations unies, ce qu’on doit mettre derrière le Programme alimentaire mondial. Et donc le troisième volet, en effet, de cette initiative, c’est un volet humanitaire, en lien avec le Programme alimentaire mondial et l’ONU. Avec sans doute une mobilisation de ce que nous avons, par le truchement des Nations unies, partout en Afrique, qui est notre présence, parfois militaire, mais qui peut aider et soutenir cela, et qui est d’accéder aux populations les plus fragiles, les plus loin de ces besoins de base, pour s’assurer qu’ils ont un accès aux soins primaires, à l’alimentation et à la survie.
Le quatrième axe de votre action coordonnée, c’est le volet économique, le volet financier. Les pays africains doivent rembourser quelque 365 milliards de dollars à leurs créanciers. Comment allez-vous convaincre ces créanciers, publics mais aussi privés, chinois, européens, américains, de renoncer à une telle somme ? C’est colossal !
Quand on regarde comment toutes les économies développées ont répondu à la crise, on a fait deux choses : un choc de politique monétaire et un choc de politique budgétaire. Les banques centrales, la banque d’Angleterre, la Fed, la BCE, ont eu une politique monétaire massive au mois de mars, sans précédent en termes de rapidité et de magnitude. Et ensuite, une réponse budgétaire, que les gouvernements sont en train de prendre.
Dans ce contexte, il n’y a pas d’équivalent monétaire sur le continent africain, et c’est la double peine : il n’y a pas la possibilité de faire cette création monétaire et ce mouvement justement nécessaire aux économies. En plus, on assiste, dans ces pays qui étaient en train d’émerger, à une fuite des capitaux qui accroît leurs difficultés. La réponse, l’équivalence, c’est ce que le FMI fait avec les bonds de tirage spéciaux. C’est cet objectif des 500 milliards, et on doit réussir à pousser cela et à allouer le maximum qu’on peut. C’est le premier pilier.
Le deuxième, sur le plan budgétaire, il passe par le sujet du service de la dette, ce que vous avez évoqué. Vous avez rappelé les chiffres, et ils sont cruels. Chaque année, un tiers de ce que l’Afrique exporte sur le plan commercial sert à servir sa dette. C’est fou ! Et on a accru ce problème ces dernières années. Je souhaite qu’on apporte une réponse la plus forte possible sur ce sujet, parce qu’il n’est pas soutenable. Je l’ai dit hier aux Français : je suis favorable à une initiative d’annulation de dette massive, c’est le seul moyen d’y arriver.
À court terme, on a eu une discussion. Il y a quatre représentants spéciaux qui ont été mandatés par l’Union africaine, ils ont fait des propositions que j’ai souhaité qu’on reprenne. Ces propositions, c’était de dire : « moratoire ». Parce qu’on a beaucoup discuté, ils ont beaucoup travaillé. Ils disent : « L’annulation, on n’y arrivera pas tout de suite. » Mais le moratoire, ça veut dire quoi ? Ca veut dire on ne rembourse plus les intérêts, vous nous laissez de l’oxygène. On étale cette dette, et on peut peut-être mettre tout le monde d’accord autour de cette idée.
Mercredi soir, le G20 finance doit acter, je touche du bois, en tout cas on y a mis tout notre capital politique, de ce moratoire sur les dettes à l’égard de l’Afrique. Moratoire qui touche les membres du club de Paris, mais aussi la Chine, la Russie, l'ensemble des économies du Golfe, et les grands bailleurs multilatéraux. C’est une première mondiale. Ça veut dire que le temps de la crise, on laisse les économies africaines respirer et ne pas servir les intérêts de la dette. C’est une étape indispensable, et je pense que c’est une formidable avancée.
Maintenant, elle doit précéder d’autres étapes sur lesquelles nous devons travailler, qui sont des étapes de restructuration de la dette africaine. Il faut le faire sans évidemment pénaliser les pays africains les plus rigoureux, qui se sont attachés à avoir une politique de soutenabilité. Mais on ne peut pas non plus dire : « Cet effort ne sera fait que par quelques-uns, et les autres ne le feront pas. » Il doit être, si je puis dire, le même chez tous les grands bailleurs.
Les Chinois sont détenteurs de quelque 40% des créances actuelles sur l’Afrique. Est-ce que vous avez parlé avec le numéro 1 chinois, Xi Jinping? Est-il d’accord pour rééchelonner cette dette, voire pour l’annuler, comme vous l’avez demandé ?
Je n’ai pas eu une discussion avec lui sur ce sujet. Je sais pour lui l’importance que revêt l’Afrique. Je ne doute pas une seule seconde que pour le président chinois, la situation aujourd’hui de l’Afrique justifie un geste de cette importance. Donc c’est une discussion que nous aurons, soit dans le cadre d’un G20, s’il pouvait se tenir dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines, soit sur un plan bilatéral, parce que je vais le solliciter sur ce point. Mais je pense que c’est un geste important que la Chine doit faire pour accompagner ce travail. Ce qui est sûr, c’est que vous avez rappelé les chiffres : la Chine est aujourd’hui un grand bailleur du continent africain. Tous les bailleurs du continent africain doivent être dans cette logique d’efforts pour aider le continent africain à traverser cette crise. Et donc elle y aura son rôle et sa part.
Et les créanciers privés ?
Je l’ai dit : tous. Moralement, humainement, c’est notre devoir, de manière partenariale avec l’Afrique. Donc je pense que les bailleurs publics, privés, bilatéraux et multilatéraux, doivent s’engager dans cette logique. Moi, j’ai donné un horizon. Maintenant, on doit réussir, tous, à se mettre autour de la table et mener ce travail. C’est inédit.
Un mot sur la question monétaire dont vous avez parlé tout à l’heure en Afrique. Les pays les plus touchés par la crise économique consécutive à ce virus, ce sont les pays pétroliers d’Afrique centrale. Est-ce qu’une dévaluation du franc CFA est à craindre dans la zone Cemac ?
On n’en est pas là, et là-dessus, je pense qu’il faut toujours essayer la stabilité et la cohérence d’une politique régionale. Ce qui est vrai, c’est que plusieurs pays qui ont une forte dépendance au pétrole - mais vous savez, il y a aussi une baisse très forte de plusieurs matières premières, je l’évoquais - sont aujourd’hui en situation extrêmement difficile, sur le plan budgétaire comme sur le plan du régime de change. Donc c’est une discussion, ce n’est absolument pas à moi de dire ça aujourd’hui. C’est avant tout aux leaders de ces pays et aux instances régionales d'en décider.
Notre rôle, c’est d’accompagner les leaders de ces pays, leurs acteurs économiques comme leurs institutions, pour absorber ces chocs et aider à réussir. Et aider à ce qu’on lutte contre la pauvreté et qu’on permette aux opportunités économiques de se multiplier.
Dans une tribune à Jeune Afrique que vous avez dû lire, un certain nombre de grands intellectuels appellent aussi à la mobilisation, notamment des chercheurs africains, des diasporas africaines, mais ils ajoutent : « Attention au catastrophisme et au paternalisme de certains pays du Nord. [...] La pandémie du coronavirus a offert à certaines chancelleries occidentales matière à réactiver un afro-pessimisme que l’on croyait d’un autre âge. »
Je ne suis pas pour l’afro-pessimisme, ils ont raison. Je l’ai dit à Ouagadougou, en novembre 2017 : je crois très profondément dans l’Afrique, dans la jeunesse africaine, dans les capacités de l’Afrique. Et je pense que le destin de la France dans le siècle qui s’ouvre, ma génération comme les leaders qui viendront, et les autres générations de dirigeants économiques, intellectuels, politiques, français et européens, c’est plutôt d’être des partenaires, d’aider les Africains à réussir, qu’en effet de leur expliquer les choses. Et donc je comprends très bien l’état d’esprit de cette tribune, et je la partage. Et d’ailleurs, moi je pense que notre rôle, c’est de bâtir avec les Africains ce qui est utile pour eux.
Donc c’est plutôt d’essayer de voir ce qu’en Afrique émerge comme solutions, des Africains en Afrique comme des diasporas, et de les aider à advenir et se multiplier. Les diasporas sont en train d’inventer des choses formidables. Il y a des initiatives, là aussi, pour répondre au sujet humanitaire, sur le sanitaire… Donc je partage l’esprit qu’il y a là. Je pense qu’il faut simplement ne pas tomber dans le catastrophisme parce que je crois profondément que l’Afrique a la force morale et la résilience pour résister au virus. Simplement, elle a aussi des difficultés propres, et on doit l’aider à les surmonter, par partenariat.
Le coronavirus et la stratégie… Côté militaire, on apprend que quatre soldats français de l’opération Barkhane ont été testés positifs au coronavirus, et que trois d’entre eux ont été rapatriés. Avez-vous connaissance d’autres cas ? Les engagements pris à Pau pour renforcer le dispositif anti-jihadistes dans la zone des trois frontières vont-ils être respectés ?
On a forcément des aléas liés au virus. D’abord, nous sommes très scrupuleux avec les militaires de la force Barkhane, et c’est normal. On a, dans un dialogue avec les cinq pays du Sahel où ils sont déployés, une politique sanitaire très rigoureuse. Ils sont mis en quarantaine avant d’arriver sur le sol, ils sont testés quand ils ont des symptômes. Et ça vous montre le sérieux avec lequel tout cela est suivi. Je pense que c’est parfaitement légitime.
Nous continuons le travail et d’ailleurs, les semaines qui ont suivi Pau ont montré l’efficacité des décisions que nous avions collectivement prises. Mes amis du Sahel avaient décidé, à Pau, d’accélérer la mise en place d’un centre de renseignements commun à Niamey. Ça a été fait de manière très rapide. On en a obtenu les résultats. On a beaucoup mieux suivi les choses et on a eu des opérations à succès dans le Gourma et quelques autres régions contre les jihadistes. On a eu quelques opérations avec succès au Niger ou au Mali.
L’opération se poursuit. Simplement, il y a deux choses qu’il faut prendre en compte par rapport au plan de charge que nous avions déployé à Pau. La première chose, c’est évidemment le Covid-19 qui ralentit un peu les choses, parce que chacun a ses préoccupations sanitaires à gérer. Mais cela ne les divertit pas pour autant, parce que les armés continuent à être mobilisées, nous continuons les opérations.
Il y a de nouveaux cas dans l’armée française ?
Non, il n’y a pas, à ma connaissance, de nouveaux cas. La deuxième chose, c’est qu’il y a eu une offensive extrêmement dure de Boko Haram et associés, si je puis dire, dans la région du lac Tchad. Je veux ici redire notre solidarité à l’égard du Tchad et de son peuple, parce qu’ils ont été durement touchés. L’armée tchadienne a subi des pertes importantes dans un premier temps. Elle a ensuite réagi fortement. Mais ça a conduit l’armée tchadienne à se mobiliser. Non seulement sur son sol, mais aussi au Nigeria, au Niger et au Cameroun. Et je veux saluer vraiment l’esprit de responsabilité, le courage des soldats et du peuple tchadiens qui, alors même que c’est un terrain d’opérations très difficile, se sont mobilisés pour lutter contre ces mouvements terroristes et ont repris le terrain qui était perdu. Ils ont aussi défendu la souveraineté de leurs voisins et se sont battus contre les terroristes. Et le président Déby l’a dit : mobilisé sur cette partie de son territoire, il n’a pas pu déployer le bataillon qui était prévu sur le fuseau central. Ça, c’est un changement par rapport à Pau. Mais il est légitime, parce que le terrorisme n’est pas que dans la zone des trois frontières au Sahel, il est aussi dans la région du lac Tchad.
Donc c’est un coup dur pour le dispositif dans la zone des trois frontières...
Un coup dur, non ! C’est un événement qu’il faut prendre en compte, auquel il faut apporter toute notre solidarité, et il faut noter que l’armée tchadienne a réagi avec beaucoup de force et a conduit des opérations avec de vrais succès militaires et des pertes lourdes du côté de Boko Haram. Donc le front, il est sur plusieurs endroits. Il est normal d’être aussi mobile.
Par contre, les choses avancent. Plusieurs points ont été repris et des pertes lourdes du côté des jihadistes dans la partie sahélienne à la suite de Pau. Donc l’agenda de Pau avance, nous continuerons d’être avec les forces Barkhane, mais aussi avec nos partenaires européens et internationaux en soutien complet des gouvernements et des peuples du Sahel.
Pour moi, la prochaine étape, c’est de faire ce qui avait été prévu il y a quelques semaines, et avait dû être décalé, au niveau multilatéral : aller chercher nos autres partenaires européens et internationaux pour accroître l’association à la lutte contre le terrorisme, et cette fameuse force Tacouba, accroître l'engagement pour aider les armées africaines à monter en capacité, et accroître l’engagement financier pour aider à consolider soit la partie développement, soit la partie retour de l’administration dans toutes les zones difficiles, parce que je vous rappelle que les quatre piliers de Pau, ce sont ceux-là.
Et le rendez-vous de Nouakchott est maintenu?
Le rendez-vous de Nouakchott est maintenu.
Il y a deux semaines, au micro de RFI et France 24, Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a lancé un appel vibrant à tous les belligérants de tous les pays en guerre pour qu’ils respectent une trêve coronavirus. Un groupe de séparatistes camerounais a entendu cet appel, l’Arabie saoudite semble avoir entendu cet appel en ce qui concerne le Yémen. Comment se fait-il que vous, les cinq pays permanents du Conseil de sécurité, vous n’avez pas relayé cet appel ?
La France l’a relayé fortement, cet appel. Mais chacun l’a relayé. Ce que nous souhaitons, c’est en effet, que pour la première fois, sous cette forme ad hoc, les cinq leaders de ce qu’on appelle le P5, les membres permanents du Conseil de sécurité puissent ensemble faire un point et relayer cet appel, et même porter plus loin plusieurs de leurs préoccupations. Donc je souhaite que dans les prochains jours, nous puissions aller en ce sens.
Le président Xi Jinping m’a confirmé son accord. Le président Trump m’a confirmé son accord. Le Premier ministre Boris Johnson m’a confirmé son accord. Je pense qu’à coup sûr, le président Poutine sera d’accord aussi. Le jour où il l’est, nous pouvons avoir cette visioconférence et donc le relayer avec beaucoup de solennité, de force, et encore plus d’efficacité.
Dans les prochains jours ?
Je l’espère.
Vous avez parlé récemment avec Vladimir Poutine ?
Je lui ai parlé au début du lancement de cette initiative. Depuis que j’ai eu les confirmations fermes des autres leaders, je ne lui ai pas parlé. Et donc je compte le faire dans les prochaines heures.
Les Français de l’étranger. Il y a les non-résidents, touristes et visiteurs, et puis il y a les résidents, les expatriés. Beaucoup vivent dans l’angoisse. Qu’est-ce que vous leur dites, aujourd’hui ?
La France protège tous ses enfants. Et donc dans les pays où vous êtes, il faut suivre les règles de confinement les plus strictes, être en lien avec l’ambassade, le consulat. S’il y a le moindre soupçon, être en lien avec les services de santé, avec un protocole qui est élaboré par le Quai [d’Orsay] en lien avec chaque ambassade, qui permet justement de protéger dans l’idéal, évidemment, compte tenu des contraintes sur le lieu de résidence, mais avec aussi des évacuations sanitaires pour les cas les plus critiques, lorsqu’ils existent.
J’ajoute à cela juste un point : nous sommes en train de travailler pour certaines situations à une politique de soutien aussi pour certains de nos ressortissants qui sont dans la difficulté, compte tenu justement des fermetures de certaines économies, pour qu’il y ait un soutien aussi économique et social à l’égard de certains de nos ressortissants, car je pense que c’est une réponse indispensable. Donc dans les prochains jours, avec le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, nous finaliserons une réponse en soutien sur ce sujet.
Et si les quelque trois millions de Français qui résident à l’étranger se mettent à vouloir rentrer un jour, comment allez-vous gérer un tel rush ?
Il y a une planification qui est justement faite au Quai d’Orsay. Je ne pense pas qu’on soit jamais dans la situation où il y a partout, du monde entier, les Françaises et les Français qui seraient amenés à revenir. Mais nous devons nous préparer, d’abord et dans un premier temps, à gérer, dans les pays, auprès de nos ressortissants, les situations qui viendraient à se compliquer. Et donc c’est la priorité. Ensuite, de nous mettre en situation de rapatrier, si besoin était, mais uniquement en situation de crise et avec du discernement.
Avec des plans en coordination avec le ministère de la Défense
Exactement.
M. le Président, merci d’avoir reçu Radio France Internationale.
Merci à vous. Courage en cette période, et je veux vraiment avoir un message d’amitié d’abord pour tous nos amis d’Afrique. Je le dis aussi, parce que vous l’avez évoqué : il ne faut pas avoir de catastrophisme. Et je veux le dire aussi parce que j’ai été frappé, comme vous, par des propos inconséquents qui ont été tenus par certains chercheurs français et ont blessé, à juste titre, nos amis africains. Et je veux ici les condamner avec beaucoup de force, et dire que la France n’a jamais considéré que l’Afrique était un lieu d’expérimentation de la médecine.
C’est aussi pour cela que j’ai eu toutes ces précautions quand vous m’avez parlé de la chloroquine. On est en France aux essais cliniques sur l’hydroxychloroquine-azithromycine. Donc ce qui est en France à l’essai clinique, chez mes amis, doit rester à l’essai clinique, et pas au niveau du traitement répandu. Je veux donc avoir ce message d’amitié et d’excuses, et je veux, à l’égard de tous nos compatriotes qui vivent à travers l’Afrique, avoir le même message d’amitié à l’égard aussi de tous vos collègues qui font ce beau métier d’informer. Ils le font parfois dans des conditions encore plus difficiles, avec la peur pour eux et des conditions sanitaires dures, et je veux les en remercier.
D craint une «crise sociale» en Afrique