Le Calame - Aminetou Mint Moctar est une icône de la lutte pour les droits de l’homme, en particulier ceux des femmes, et enfants et contre l’esclavage. L’AFCF qu’elle préside a fini de s’imposer dans l’échiquier national. AFCF fait trembler beaucoup d’hommes.
Connue pour son franc parler et son courage, Aminetou Mint Moctar n’hésite pas à monter au créneau pour dénoncer toutes les formes d’injustices.
A l’occasion de la célébration de la journée internationale de lutte contre le travail des enfants, elle revient sur les efforts déployés par les pouvoirs publics, le travail de son ONG.
Le Calame : La Mauritanie vient de célébrer la journée internationale de l’enfance, le 12 juin. Quelle évaluation faites-vous de la situation des droits de cette catégorie dans notre pays ?
Aminetou Moctar : C’est un évènement important qui intervient, hélas en cette période de COVID 19 ; c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de grandes festivités.
Pour en revenir à la question, je vous dirais que l’AFCF qui se bat pour le bien être de la famille et donc de l’enfant note quelques avancées en matière de protection des enfants. Un important arsenal juridique a été adopté. On peut en citer en guise d’exemple, l’Ordonnance n°2005-015 portant protection pénale de l’enfant, la Convention de l’OIT sur le travail des enfants, la Stratégie nationale de protection de l’enfance en 2019, le Code Général de protection de l’enfance en 2018.
Ce sont des textes très importants et qui seront suivis par l’adoption d’un cadre juridique national beaucoup plus évolutif et ouvert par rapports aux textes précédents dans le sens où ils prennent en compte l’ensemble des aspects de protection juridique, sociale, économique et éducative...
Parallèlement à cela, il s’y ajoute la création de 3 brigades de Police des mineurs dans les trois Wilayas de Nouakchott, dotées chacune d’officiers de police judiciaires. Ces Wilayas disposent de magistrats spécialisés dans le traitement des problèmes d’enfants mineurs.
On trouve également dans les Wilayas de l’intérieur du pays des officiers de police judiciaire, affectés à la même tâche bien qu’il serait préférable de décentraliser dans certaines wilayas des brigades spécialisés pour mineurs. Et comme je l’ai dit tant tôt, on peut se réjouir de ces avancées.
Cependant, il faut souligner qu’il est toujours déplorable de constater le déficit de formation de certains personnels aussi bien dans les commissariats, les tribunaux et centres de détention des enfants notamment dans la prise en charge des mineurs en contact et en conflit avec la loi.
C’est pourquoi, nous, organisations de défense des droits de l’homme de l’enfant, rencontrons d’énormes difficultés avec certains du personnel de la justice, en particulier au niveau de Nouakchott Nord où les droits de l’enfant peinent à être respectés. Nous ne pouvons pas assister les enfants en difficultés telle que c’est stipulé par la loi.
Dans cette wilaya, ce qui n’est pas le cadre dans les autres, les dossiers relatifs aux viols sont classés sans suite, la liberté provisoire abusive accordée aux auteurs... Les magistrats nous demandent que des témoins qui peuvent être considérés comme des complices au lieu de la déposition de la victime ou l’expertise médicale pour fonder leur jugement.
C’est l’impunité totale. Je peux vous citer le mariage d’une fille de 8 ans et demie, sans son consentement, ni celui de ses parents paternels. Il y a eu un vice de procédure dans ce processus de mariage et le tuteur de la fille, son prétendu mari ont été relâché et aucun des responsables de la justice dans ce Wilaya n’a accepté d’agir.
Pour en revenir à l’application de cet arsenal juridique, la Mauritanie a ratifié le Convention des droits de l’Enfant (CDE), la charte africaine de protection et du bien-être de l’Enfant, comme elle a adhéré aux droits des migrants et la convention relative à la traite des enfants, celle de l’OIT sur le travail des enfants. Nous saluons ces avancées mais souhaitons l’application de cet arsenal juridique.
-Quelles sont les violences dont sont victimes les enfants en Mauritanie ?
-Elles sont nombreuses et multiformes. Cela va du passage à tabac, de la maltraitance à l’usage des produits psychotropes ... Tenez, nous avons récemment été saisis, au niveau de l’AFCF par le cas de 04 enfants en situation de mobilité, les 03 ont été maltraités et le quatrième enfant a été brûlé par son marabout . Il ne pouvait même pas s’asseoir.
Après un mois 20 jours de séjour au service des grands brûlés, nous l’avons récupéré et assurons depuis, sa nourriture, ses soins médicaux et les frais d’une nourrice qui s’occupe de lui. Il bénéficie d’un régime spécial. Les frais médicaux ont été pris en charge par l’OIM.
En outre, nous avons constaté une recrudescence inquiétante des cas de viols à Nouakchott. 25 viols en un mois en cette période de pandémie. Ils touchent principalement des filles mineures, et les auteurs sont souvent des parents proches, des tuteurs, des repris de justices, des délinquants de tout acabit.
Les filles sont attaquées, kidnappées, séquestrées, agressées dans les rues et même dans leurs maisons. Vous voulez des exemples, je vous en donne plusieurs. Vous n’avez certainement pas oublié le viol des 3 filles par un français, il y a quelques semaines. Deux ont eu à subir l’une 2 interventions chirurgicales et là deuxième une intervention.
Cette augmentation des viols s’explique par d’une part l’impunité qui prévaut et la libération pour cause de CORONAVIRUS de nombreux violeurs et autres délinquants qui viennent accentuer le phénomène.
On peut ajouter le cas de jeunes exposés à la drogue. C’est regrettable de le dire, mais nous avons une génération de délinquants qui se battent avec des armes blanches.
Autres enfants victimes de violences, les jeunes charretiers qu’on rencontre dans les rues de Nouakchott. Non seulement ils peuvent contracter de nombreuses maladies, mais sont victimes aussi des agressions de certains délinquants adultes qui les poussent à commettre des crimes.
Enfin, les enfants en situation de mobilité sont objet de toute sorte de violence. Il s’agit d’enfants abandonnés par leurs parents venus de pays étrangers, des enfants non accompagnés. Dans l’un de nos centres, nous hébergeons actuellement 04 familles et ce sont des filles mères ou des femmes seules avec enfants.
Pour l’un de ces femmes seules avec ces enfants, le père, sierra léonais est décédé et la famille s’est retrouvée exposée à la menace de viol d’un concitoyen. Beaucoup d’enfants venant de la frontière malienne et le camp des refugiés sont aussi exposés aux violences parce qu’ils ne sont pas protégés.
Nous y travaillons avec nos partenaires comme Terre des Hommes Lausanne pour leur prise en charge . Nous intervenons aussi dans le cadre de l’accès à la justice juvénile et dans ce domaine les défis sont majeurs.
Actuellement, nous hébergeons dans un autre centre de l’AFCF, des mineurs non accompagnés en mobilité, des enfants qui étaient en conflit avec la loi et qui ont été récemment libérés. Leurs familles n’étant pas à Nouakchott, avec la situation du COVID, leurs retours en famille pour ceux dont c’est possible sont en attente.
Nous avons actuellement une mineure de 17 ans, qui a séjourné 5 mois à la prison des femmes pour motif de bagarre qui est dans ce centre et qui attend impatiemment son retour en famille. La mineure est en état de grossesse très avancée, son souhait est de rejoindre sa famille qui est à Bout.
Nous avons entamé des démarches pour avoir une autorisation afin de la ramener auprès de ses parents à Bout ; elle venait d’Aoün. L’AFCF, dispose d’avocats, d’assistantes sociales et de psychologues pour les cas que nous traitons.