Passions d’un engagement (46): Teichtayatt: La punition collective(6) Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)
21 January, 2025 - 11:00
Quand le champ de bataille se déplace au champ agricole(2)
Le congrès de Rosso
Le rendez-vous de Rosso eut lieu quelques mois après la réunion de Rkiz. Presque tout le Trarza y était représenté. Rares sont les tribus à qui on n’a pas attribué un lopin de terre au lac Rkiz. La réunion, en fait le congrès, s’est tenue au restaurant de Elbeledia sur l’axe principal au centre-ville. Le hakem de Rkiz Ould Cheikh Elhadrami assurait la présidence de la réunion.
Parallèlement au déballage dans la grande salle de réunion, les participants, qui ne comptaient aucune femme, s’adonnaient à de multiples concertations, en groupes, en aparté… un certain Banou menait une campagne tout azimut avec tout le monde. Il ne cessait d’exhiber un document d’une page qu’il gardait jalousement dans une vieille chemise jaune sur laquelle est écrit à la main en gros caractères : dossier Rkiz. Il serait relatif à notre périmètre agricole. Je soupçonnais qu’il s’en servait pour, au nom de la tribu, nous exclure de tout droit là-dessus. Malheureusement il n’a pas eu la gentillesse de me le montrer.
Une sémantique non innocente
Le débat s’était cantonné dans les généralités. Un seul point était évoqué constamment et d’une façon plus ou moins explicite: les propriétaires légitimes ou les ayants droit et les exploitants. En arabe : « Elmoulak wa Elmoustethmirine ». Sous-entendu: les familles nobles=Elmoulak, les esclaves et affranchis =Elmoustethmirine.
Comme on évitait de trop creuser le sujet, je n’avais pas voulu interférer par un point de vue opposé quelconque. Dans un climat plutôt bon enfant et surtout à l’aide de l’habileté du président de séance, la réunion s’était passée dans une certaine sérénité jusqu’au dernier moment. Le cahier des charges prévoit une instance dénommée la commission des propriétaires du sol agricole au lac Rkiz. De nouveau, certaines têtes aussi têtues avaient voulu n’y inclure que les maires et les chefs de tribus. Encore une fois j’ai proposé mon nom après celui de Banou. Ce dernier piqua une colère folle. Il demanda une mise au point pour dit-il «mettre les choses au clair concernant ce lopin de terre de Rkiz attribué à sa propre tribu ».
Une plaidoirie d’un autre âge
Ainsi il cracha devant le « Trarza rassemblé » tout le substrat de sa culture tribalo-nomade : « Ce Cheddad ne cesse de me défier. C’était le cas aujourd’hui et avant à Rkiz. Sachez que ce lopin de terre est attribué à notre tribu, la tribu dont je suis l’unique chef. A partir de ce moment plus personne n’y sèmera un grain sans mon autorisation. Je m’adresse surtout à ceux qui s’excluent de la tribu comme lui. Comme un peu partout dans le pays, les parents de tel sont des tributaires dont chaque famille est affiliée à une fraction ou une famille de notre tribu. Sur le terrain, ils sont donc de simples exploitants : Moustethmiroune. D’ailleurs tel se démarque entièrement de notre tribu parce qu’il se veut un communiste ou un militant d’Elhor ou les deux à la fois.… ».
Une réplique non diplomatique
J’ai écouté religieusement le discours de son excellence. La salle sombra dans un silence de marbre. Les gens craignaient un débordement qui pourrait compromettre la fin des travaux. J’avais bien médité la réplique. Il fallait qu’elle soit consistante, convaincante et surtout polie et courtoise. J’ai demandé poliment la parole. Le président me l’accorda aussitôt. Voici en résumé ce que j’avais tenu à dire:
«d’abord je présente mes sincères excuses à tous ici. Je regrette vivement l’intervention de son excellence Banou du moment qu’elle exige de moi une réponse. Un échange absolument regrettable parce qu’il risque de perturber la sérénité des travaux d’une réunion qui jusque-là se déroule sans problèmes. Ensuite je ne peux que regretter que mon pays fut représenté par ce niveau terre-à-terre de diplomatie.
Concernant le lopin de terre dont il est question, je prends à témoins les vrais agriculteurs parmi vous: franchement parlant, quand est-ce il y a un problème agricole? Logiquement quand des gens ayant droit dans un espace donné viennent pour cultiver et que d’autres les en empêchent. Je défie son excellence de me citer au moins un seul cas pareil vécu dans le lopin en question. Les parents de Teichtayatt conformément à la loi et la Cheriaa islamique se veulent à la fois propriétaires et exploitants : Moulak et Moustethmirine. Ils sont décidés à défendre l’espace de terre qu’ils ne cessent de cultiver alors que d’autres sont incapables de le situer sur le terrain…. Si les choses sont ainsi mettons de côté ce faux problème.
Concernant ma propre personne, je n’en fais pas un problème. Si communiste ou Elhor, c’est penser les problèmes ainsi j’assume donc à la fois les deux, vices, délits ou crimes dont je suis prêt à subir les peines. Entre-temps, je me propose comme tributaire de son excellence comme sa famille en manque chez nous… ».
Les deux conceptions du monde
Des sages comme le hakem Ould Cheikh Elhadrami et feu Mohamed Ould Cheikh, ancien hakem, intervinrent aussitôt pour orienter les choses dans le bon sens avant tout débordement non contrôlé.
Mon nom fut donc coché dans la commission des propriétaires des terres du lac Rkiz. Le cahier des charges fut signé par tous. Les sages m’avaient demandé de me réconcilier avec son excellence. Je leur dis que pour moi il n’y a absolument aucun différend entre nous. « Nous avons uniquement des conceptions différentes du monde qui nous entoure et à un certain âge ce genre de différends n’est pas très facile à régler », concluais-je.
(À suivre)