Le sursaut ou l'enlisement : Quelle voie pour la Mauritanie ? Par Nana Mint Cheikhna

jeu, 05/06/2025 - 08:36

La Mauritanie se tient aujourd’hui au bord d’un carrefour historique, suspendue entre deux destins, entre lumière et obscurité, entre envol et abîme.
Terre de silence et de contrastes, riche d’un sous-sol généreux déjà mis à profit et de promesses nouvelles prêtes à éclore, elle s’apprête à entrer dans une ère de prospérité annoncée. Mais cette richesse, aussi éclatante soit-elle, porte en elle autant d’inquiétudes que d’espérances. Car que valent ces trésors — fer, or, poissons, gaz— s’ils ne font que reproduire les drames d’hier ? S’ils nourrissent les mêmes privilèges, les mêmes exclusions, les mêmes aveuglements ?
Que valent ces mannes si elles ne transforment pas en profondeur les conditions de vie des citoyens, si elles ne sont ni guidées par une gouvernance lucide et incorruptible, ni accompagnées par des investissements durables et une redistribution équitable ?
Déjà, les failles s’élargissent : pauvreté enracinée, inégalités tenaces, diversité mal assumée, mémoire blessée. L’unité nationale vacille, écartelée entre un pouvoir prisonnier des réflexes tribaux d’un autre âge, cramponné à un statu quo stérile, et une opposition morcelée, trop souvent engluée dans ses querelles internes pour incarner l’idéal démocratique auquel aspire le peuple. Notre démocratie, naguère promesse d’un avenir commun, s’essouffle. Les libertés reculent sous le poids de lois liberticides, le pluralisme se délite, les scrutins persistent à manquer de transparence. L’école, socle de toute renaissance, s’effondre, minée par l’indigence pédagogique et l’anarchie administrative. Le chômage étend son ombre, étouffant les rêves d’une jeunesse désorientée. Aux marges, les trafics pullulent ; dans les centres urbains, l’insécurité et l’argent sale minent la légitimité de l’État.
Et comme si ce naufrage intérieur ne suffisait pas, un vertige plus vaste encore nous étreint : celui du monde lui-même.
 Où va-t-il ?  Et dans son sillage, où va la Mauritanie ?
À première vue, le parallèle peut sembler audacieux, presque démesuré. Comment comparer le destin d’un pays discret, lové dans les sables du Sahel, à celui  du monde, des grandes puissances qui façonnent l’histoire ?
 

Une démocratie qui s’essoufle…..

Et pourtant… Le fracas du monde n’est jamais une rumeur lointaine. Il résonne jusque dans les ruelles sablonneuses de Nouakchott, jusque dans les confins oubliés de nos wilayas. Le temps des périphéries préservées est révolu. Le monde s’est contracté ; les frontières se sont dissoutes. En cette ère d’interdépendance absolue, plus aucune nation, aussi isolée soit-elle, n’échappe aux secousses d’un monde interconnecté.
Les marchés, les idées, les conflits, les flux migratoires, les crises climatiques et les décisions géopolitiques s’entrelacent dans une trame unique, une toile invisible mais implacable. Dans ce réseau d’effets en cascade, le moindre souffle à Washington, Pékin, ou même Bamako peut déclencher des bourrasques à Nouakchott. La fameuse théorie du chaos n’a jamais été aussi tangible : le battement d’aile d’un président proche ou lointain peut devenir tempête à nos portes.
Et il ne s’agit pas là de simples abstractions.
Le monde qui nous entoure est en convulsion. De l’Afrique de l’Ouest aux confins du Levant, des plaques tectoniques politiques se déplacent. Du Mali au Niger, en passant par la Guinée, les transitions militaires se succèdent, drapées dans des oripeaux patriotiques, mais souvent incapables de bâtir une légitimité durable. L’insécurité s’aggrave, les économies s’effondrent, les libertés s’effacent. Le Sahel devient un vide stratégique, un terrain vague offert à toutes les convoitises : puissances rivales, mercenaires sans visage, groupes armés hors de contrôle.
Tout autour de nous, les tensions s’accumulent. Le conflit du Sahara occidental demeure une plaie ouverte. Plus au nord, l’inimitié persistante entre Alger et Rabat continue de paralyser toute intégration maghrébine. Et dans cette houle géopolitique, la Mauritanie dérive sans cap, sans boussole, sans dessein clair.

 

Un pays qui dérive sans cap

Pendant ce temps, le reste du monde s’embrase. En Ukraine, la guerre redessine les rapports de force. À Gaza, un peuple meurt dans l’indifférence générale, pendant que les puissances se perdent dans leurs contradictions. En mer Rouge, les Houthis étendent le brasier, bouleversant les routes commerciales.
 Et comme pour clore ce sinistre ballet, un autre séisme s'est enclenché  : le retour de Donald Trump sur la scène mondiale.
Ce retour n’a rien d’anecdotique. Il incarne, au contraire, une rupture profonde : celle d’un populisme désinhibé, agressivement protectionniste, qui rejette les alliances, insulte les compromis et s’attaque aux institutions internationales — ONU, OMS, OMC — accusées de freiner une souveraineté américaine redéfinie. Si cette vision s’impose, elle signera l’effondrement de l’ordre dit multilatéral, la fin d’un monde qui prétend être régi, un tant soit peu, par le droit, la coopération et la solidarité. Ce sera, pour des pays comme le nôtre, l’abandon à eux-mêmes, livrés aux seuls rapports de force.
Dans ce monde fragmenté, brutal, où les normes cèdent la place à la puissance nue, la Mauritanie ne peut plus se permettre l’attentisme. Elle doit choisir : le sursaut ou l’enlisement. Elle doit, avec lucidité et courage, cesser de subir et commencer à bâtir. Elle peut, si elle le veut, tracer sa propre voie, refuser la résignation, refuser d’être une feuille emportée par le vent de l’Histoire.
Mais cela exige une refondation profonde. Un sursaut national. Un dialogue inclusif, sincère, exigeant — non pas un simulacre convenu ou une diversion politique, mais un acte fondateur. Il faut repenser nos institutions, rebâtir notre démocratie, rompre avec les pratiques de gouvernance fondées sur la navigation à vue, et adopter une vision claire, partagée, à long terme. Une vision qui embrasse la pluralité de notre peuple, consacre la citoyenneté et l’égalité comme piliers sacrés de notre vivre-ensemble, et qui articule un projet global : politique, économique, social — adossé au droit, mais porté par une volonté politique inflexible.
Aux dirigeants alors de faire l'effort de se réformer, d'adopter une nouvelle approche stratégique et de développer le sens de l'anticipation nécessaire aux grands tournants de l'Histoire.
C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que la Mauritanie préservera son unité, sa souveraineté, et sa dignité dans un monde en pleine recomposition