Dr Sidi Ould Tah : Un triomphe discret pour la Mauritanie et l'Afrique

lun, 09/06/2025 - 09:49

L'élection du Mauritanien Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD) le 29 mai 2025 représente bien plus qu'une simple passation de pouvoir. C'est le couronnement d'une stratégie diplomatique maîtrisée, un hommage à la compétence africaine et une victoire pour l'approche mauritanienne du leadership - discrète mais redoutablement efficace. Ce succès, orchestré sous l'impulsion du Président Mohamed Ould Ghazouani, mérite une analyse approfondie tant il offre des leçons en matière de gouvernance continentale.
 

Un parcours d'exception : L'homme derrière l'élection
Sidi Ould Tah n'est pas un novice dans les arcanes du développement africain. Son curriculum vitae témoigne d'une carrière dédiée aux finances continentales :
- Expérience gouvernementale : Ministre de l'Économie et des Finances de Mauritanie (2008-2015), il a piloté la reconstruction des réserves de change du pays et maîtrisé l'inflation durant une période économiquement troublée .
- Leadership transformationnel : À la tête de la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA) depuis 2015, il a quadruplé le bilan de l'institution (de 4,2 à 20 milliards de dollars), obtenu une notation AAA et lancé avec succès le premier eurobond de 500 millions de dollars en 2024 .
- Visionnaire du développement : Polyglotte (français, anglais, arabe), il a multiplié par 12 les approbations de financements et par 8 les décaissements à la BADEA, tout en modernisant radicalement ses processus.
 

La stratégie gagnante : Comment Nouakchott a convaincu l'Afrique
L'élection à la BAD n'était pas gagnée d'avance. Le succès du Dr Ould Tah repose sur une  campagne diplomatique minutieusement orchestrée:
- Soutiens clés : La Côte d'Ivoire (dont l'influence en Afrique de l'Ouest est cruciale), le Nigeria (premier contributeur africain), la Tunisie, le Congo-Brazzaville et le Bénin ont rallié sa cause. Le président ivoirien Alassane Ouattara a joué un rôle pivot en entraînant une partie de l'UEMOA.
- Quadrillage diplomatique : Le ministre mauritanien de l’Economie Sid'Ahmed Ould Bouh a multiplié les déplacements pour tisser des alliances, jusqu'à obtenir le soutien de puissances non africaines comme la France et l'Espagne.
- Capitalisation sur le mandat UA : Le président Ghazouani a habilement utilisé son récent mandat à la tête de l'Union Africaine pour consolider les réseaux nécessaires.
Contre toute attente, cette stratégie a permis à Sidi de remporter  76,18% des voix au troisième tour, avec un score encore plus impressionnant de  72,37% parmi les pays africains.
 

Les défis du nouveau président : Continuité et innovation
Sidi Ould Tah hérite d'une institution en pleine croissance (capital triplé sous Adesina pour atteindre 318 milliards de dollars), mais face à des défis immenses :
 Concernant les financements innovants : "Un dollar dépensé par la BAD doit pouvoir en mobiliser dix", affirme-t-il, plaidant pour une meilleure coordination avec les autres institutions financières africaines.
S’agissant de la Jeunesse africaine : Il place l'emploi des jeunes et l'appui aux PME féminines comme  priorité absolue.
Pour ce qui est de la résilience climatique : Un de ses quatre axes prioritaires, avec la diversification économique et l'inclusion financière via les fintechs.
Face à une géopolitique complexe : Il devra composer avec les réticences américaines (qui veulent retirer 500 millions de dollars des fonds pour les pays pauvres ) tout en maintenant l'unité africaine.
 

Une victoire symbolique pour l'Afrique
Cette élection marque un tournant à plusieurs titres :
- Retour des francophones : Après 10 ans de présidence anglophone (le Nigérian Adesina), elle rééquilibre les dynamiques linguistiques continentales.
- Reconnaissance des petits pays : La Mauritanie, avec seulement 4,5 millions d'habitants, prouve que le leadership africain ne se mesure pas à la taille démographique ou économique.
C’est le triomphe du mérite, comme le note Financial Afrik qui l'avait désigné "Financier africain de l'année" en 2024, Sidi incarne l'excellence technique plus que le clientélisme politique.
 

Que peut-on retenir comme leçons d'un succès mauritanien :
L'accession de Sidi Ould Tah à la tête de la BAD offre plusieurs enseignements :
-Il y a d’abord l 'efficacité discrète  qui paie plus que les annonces médiatiques tapageuses. Son style feutré contraste avec le flamboyant Adesina, mais a convaincu.
-Ensuite une préparation minutieuse : Son travail à la BADEA pendant 10 ans a servi de démonstration de ses capacités.
On est convaincu aujourd’hui que l'Afrique sait choisir ses leaders sur la base de la compétence plus que des seuls rapports de force géopolitiques.
Comme le déclarait Sidi après son élection : ‘’Je vous remercie pour cette confiance dont je mesure la responsabilité". Une phrase simple qui résume l'humilité et la détermination de cet économiste qui porte désormais les espoirs de tout un continent. La Mauritanie, à travers ce succès, montre que dans le concert des nations africaines, chaque voix compte lorsqu'elle s'exprime avec persévérance et compétence.
 

Mamadou Gueye
Consultant senior en communication