
Les 20% de Biram à Paris
J’ai écouté récemment une séquence d’une vidéo dans laquelle Biram Dah Abeid (BDA) défend expressément que « 20% des mauritaniens, soit 1/5 de la population nationale, subissent encore la pratique abjecte et directe de l’esclavage ». Biram Dah Abeid s’exprimait à Paris, de retour d’un long voyage aux USA.
Honnêtement parlant, j’ai toujours senti au fond de moi une certaine fierté, de ce citoyen d’origine très modeste, qui a réussi en si peu de temps à se faire un nom de grande audience à l’intérieur et surtout à l’extérieur, notamment en Europe et spécifiquement aux États-Unis d’Amérique (USA).
L’intérêt de la vérité des faits
Ma joie serait décuplée si ce monsieur s’imposait à son niveau une image véridique authentique de la réalité de notre pays. La vérité des faits grandit et donne plus de chance au message de passer plus aisément. Le contraire est toujours contreproductif.
Avant, je soupçonnais que certains milieux officiels et non officiels cherchent constamment, pour des raisons souvent évidentes, à discréditer monsieur Biram Dah Abeid. Comme d’habitude, dans ce genre de situation, ma réaction va dans le sens de solidarité avec l’intéressé. En conséquence je ne donnais pas a priori crédit aux allégations de ses discréditeurs. De même je n’adhère point a priori aux diverses interprétations de la réalité exprimées par lui.
Des institutions aux buts controversés
Pour BDA, l’Etat mauritanien crée sciemment des institutions chargées officiellement d’enquêter et de lutter contre l’esclavage. Il considère que ces institutions ne sont pas créées pour la mission qui est la leur officiellement annoncée, mais que leur tâche est plutôt de contrecarrer les organisations civiles indépendantes comme l’IRA, la sienne, dans leur action jugée véritablement, selon lui, anti-esclavagiste. Je pense que ces institutions officielles tendent souvent à minimiser, voire à nier d’une façon systématique les allégations et les résultats des enquêtes prêtées à ces organisations qui prétendaient être objectives et indépendantes dans leurs enquêtes et investigations. Ces dernières à leur tour s’assignent la mission de prouver, non sans exagération, la véracité de leurs enquêtes et de leurs conclusions.
Comme tout le monde sait, la pratique de l’esclavage est intimement lié à l’histoire de notre pays et à la vie de sa population dans toutes ses composantes ethniques et sociales. Dans l’ancien temps, de nombreuses familles d’esclaves affranchis auparavant possédaient leurs propres esclaves.
La situation décrite par BDA, évaluant à 20% la part des esclaves dans la société maure notamment, serait proche de la réalité dans la société précoloniale et même jusqu’à une décennie près après l’indépendance de notre pays.
Les effets doubles d’une impitoyable sécheresse
Des décennies successives d’impitoyable sécheresse vont décimer de façon systématique l’économie rurale, agriculture, élevage et même activités artisanales, basculant ainsi maîtres et esclaves dans la pauvreté absolue. Toute la population du pays se nourrissait alors de l’aide alimentaire internationale. Encore une fois, notons ici, que la grande sécheresse constituait le premier grand libérateur des esclaves. Cette situation de détresse généralisée va faciliter la tâche au mouvement des jeunes de l’époque pour engager et accélérer une action inédite d’émancipation du monde rural, esclave et haratine en particulier.
Solidarité bien ordonnée
Donc, depuis ce contexte, il ne serait plus réaliste d’évaluer la part de l’esclavage en terme de 20% et même en deçà. Faute d’économie rurale, la nécessité d’user de bras d’esclaves devient non seulement inutile mais impossible sur le terrain de la réalité. Après la période de la sécheresse, on a assisté à la naissance d’un nouveau contexte caractérisé par l’émergence d’une forte tendance à la modernisation des activités économiques, nécessitant une main-d’œuvre jouissant de sa liberté, donc moins assujettie au mode de production esclavagiste. Bien sûr que des liens de dépendance avaient persisté et persistent même encore jusqu’à nos jours, mais de façon très marginale. L’ironie du sort est que le plus souvent leur persistance se faisait au détriment du maître. Ce dernier, dans de nombreux cas, favorisé parfois par son statut social, réussit à avoir des sources de vie où il se trouve dans l’obligation sociale de les partager avec ses anciens subordonnés, esclaves ou autres.
De l’esclavage à la débrouille
Quand à l’ancien esclave, avec le temps et devant l’impérieuse nécessité de survie, il apprend la débrouille. Le couscous et la galette de mil (Elaich), qu’il a appris à fabriquer auparavant en brousse, il se mit à s’en servir en ville pour s’auto-entretenir et vendre le produit de ses services aux autres qui conservaient jusqu’à très récemment ces habitudes alimentaires. Son utilité économique au service de certains anciens maîtres plus ou moins en meilleure situation maintenant s’en trouvait fortement diminuée. Aussi, certains anciens maîtres, la force de la tradition oblige, réussissent à grignoter et d’une façon généralement pacifique, des petits services auprès de leurs supposés anciens esclaves.
Voilà, de façon succincte, les traits distinctifs dans l’évolution des mentalités consécutive aux fortes perturbations politiques et socio-économiques ayant ébranlé notre société de façon globale durant ce dernier demi-siècle.
Un cliché d’un autre âge
Aujourd’hui, en 2025, se permettre de figer notre société dans un cliché précolonial relève plutôt de l’ignorance bornée ou de la malhonnêteté intellectuelle délibérée ou les deux à la fois. À moins que ce cliché apocalyptique soit présenté sciemment aux étrangers censés ignorer la situation de notre pays, feignant d’oublier que les étrangers en question n’ignorent que ce qu’ils tiennent à faire semblant d’ignorer.
Pour les citoyens ayant eu la chance de sillonner tout le territoire national et de connaître la situation de ses habitants, il serait hasardeux de chercher à les induire en erreur à ce niveau précisément. Les cas d’esclavage avérés, découverts de temps en temps par-ci par-là et d’une façon très espacée, explique de façon certaine que le phénomène d’esclavage direct cesse depuis d’être une réalité tangible, une source de vie dans notre pays.
Témoignages d’un observateur
J’ai eu la chance de sillonner au moins une fois l’ensemble de l’espace du triangle dit de la misère (hier) ou de l’espoir (aujourd’hui). Ce triangle qui balaie plusieurs régions du pays (Brakna, Gorgol, Assaba et même le Tagant), est habité essentiellement par les gens de souche haratine (esclaves d’hier). Sans exagération, ils pourraient être estimés à près de la moitié de la masse des haratines du pays. Je me rappelle qu’en plein processus démocratique, ils ne comptaient qu’exceptionnellement de rares cas de condition esclavagiste avérée, cas encore assujettis au service d’un maître d’esclave donné.
Le triangle d’éveil et d’émancipation
La zone, toute la zone de Chlakh Lehmir (foyer célèbre pour sa révolte antiféodale et anti-esclavagiste) jusqu’ au centre du quartier de Elghadima à l’intérieur de Kiffa-ville, en passant par l’ensemble des agglomérations urbaines, villages et Adwabas, furent l’objet de campagnes d’éveil, de sensibilisation et d’alphabétisation des jeunes du mouvement kadihine des années 1970-1980. Le reste du pays n’était pas en reste. La règle d’éveil et de prise de conscience peut être étendue aux divers quartiers des villes modernes: Nouakchott, Nouadhibou, Zouerat….
Ce n’était pas par hasard que la majorité des municipalités de cet espace dit de l’espoir aujourd’hui, fut conquise ou fortement disputée, à un moment donné, par le mouvement MND.
Le handicap culturel
Actuellement il y a lieu de constater que l’esclavage en tant que tel cesse absolument d’être le principal problème devant plus d’émancipation du monde haratine. Ce sont plutôt les stigmates de l’esclavage qui demeurent le principal handicap à ce niveau. La mentalité de subordonné au service d’un maître ne s’efface pas aussi facilement, même chez monsieur le ministre haratine. L’esprit suprématiste chez quelques anciens maîtres ou arrivistes d’aujourd’hui en situation de maîtres (patrons) se cultive actuellement chez un bon nombre de parvenus.
Cette nouvelle situation, renforcée par l’héritage tenace du passé, est loin d’être plus aisée à combattre que l’esclavage dans sa forme la plus pernicieuse. On a donc tout intérêt à focaliser nos efforts sur son combat au lieu de perdre son temps à se casser les ongles à creuser à la recherche de l’eau dans un désert sans espoir aucun.
La longueur d’avance des uns…
La course se déroule entre des gens aux moyens si différents: les uns disposant d’une longueur d’avance certaine sur d’autres presque démunis de tout. De tout temps et aujourd’hui notamment, ce sont les moyens matériels qui font très souvent la différence, qui donnent et facilitent l’accès au pouvoir. Mais paradoxalement, ce sont les atouts culturels qui garantissent la conservation de tout pouvoir. Chez nous, à titre d’exemple, nous avons des segments sociaux disposant d’une profonde culture commerciale qui permettrait à notre pays de développer une accumulation capitaliste en mesure de favoriser un développement économique et financier fiable. Malheureusement, d’autres, dont quasiment tous les haratines, qui, bien que majoritaires, n’arrivent pas à dépasser le rôle d’un gagne-pain quotidien.
Des donneurs de leçons non crédibles
Monsieur BDA, aux USA et en France, notamment on se permet constamment de nous donner des leçons de justice et de lutte contre l’esclavage et le racisme alors que ce qu’ils nous incitent à combattre est fortement ancré au sein de leurs sociétés respectives: la culture esclavagiste aux USA et la discrimination ouverte contre les étrangers et les français non de souche européenne. Ceux-ci, en criant « au voleur », cherchent d’une façon habile à éloigner ou tout au moins à diminuer tout soupçon au sein de leur enceinte. En cautionnant le génocide à ciel ouvert en cours à Gaza, ils dévoilent par là leur véritable nature de rapaces colons d’hier et d’irréductibles impérialistes d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas de ne pas prendre ce qu’ils semblent donner mais tout simplement de se méfier de leur petit jeu qui ne sert d’abord que leurs
Intelligents intérêts aux calculs mesquins.
A S Elmoctar