Financial Afrik - Fin connaisseur des questions de l’intégration économique en Afrique de l’Ouest et dans la région du Maghreb Arabe, Abdoul Kane , à travers son expérience de fonctionnaire international , revient sur les conditions essentielles de l’intégration.
C’ était en marge du 6ème forum pour le développement de l’Afrique du Nord, organisé du 27 au 31 octobre à Rabat par le bureau régional de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA). La rencontre portait sur les accords continentaux de libre échange et, notamment, sur le traité instituant l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), signée à Marrakech il y a 20 ans. Interrogé par Financial Afrik, l’expert mauritanien est formel: «l’intégration a un coût, il faudra le payer ou y renoncer».
Comment s’explique le fait que l’intégration économique avance plus vite dans l’espace de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) comparée à la zone de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ?
Probablement plusieurs facteurs le justifient mais le premier d’entre eux est que, dans l’espace ouest-africain, il y avait déjà une tradition d’intégration avant le fait colonial.
Il y a eu des entités qui ont fait la guerre puis la paix et ont développé un certain nombre de brassages entre leurs populations, d’échanges commerciaux entre les zones du sahel et celle de la savane sur des produits comme le bétail, la viande ou les volailles.
Les traditions du commerce, quasi-séculaires, ont généré très tôt des mouvements de populations et de marchandises. Le fait colonial a plus ou moins entériné cette situation qui a fait que la libre circulation des biens et des personnes est restée une constante dans l’espace Ouest Africain.
Je dirai que c’est le seul espace africain qui n’a pas connu la problématique de visa depuis l’indépendance. Donc, contrairement à l’espace UMA, trop contraint par rapport aux problèmes parfois politiques, la dynamique de l’intégration est plus forte en zone CEDEAO.
La Mauritanie, pays charnière entre les deux espaces, a quitté la CEDEAO depuis 2000. Y -t-il un manque à gagner ?
Evidement, c’est un choix de souveraineté que la Mauritanie a fait mais, jusque-là, nous n’avons aucune information sur les causes réelles de ce retrait. L’Etat n’a jamais dit officiellement le pourquoi. Est-ce un problème de coût ? Un problème de contrainte ? En ce qui me concerne, sans aucun doute, ma raison de penser me dicte que le manque à gagner est considérable.
D’abord parce que la CEDEAO est un espace avec lequel nous avons un niveau de développement similaire. Ce qui veut dire qu’on peut concurrencer les produits ou entreprises de cet espace sur certains segments de marchés notamment dans tout ce qui concerne l’artisanat, les services et autres.
En quittant cet espace, nous perdons les avantages de la libre circulation des personnes et les différents droits de séjour et de résidence dans cet espace assez fréquenté par nos compatriotes.
Ce sont là des facteurs qu’on ne peut pas quantifier mais qui engendrent des impacts. Ensuite, pour moi la diplomatie d’un pays c’est d’abord sa géographie car c’est avec vos voisins que vous aurez la paix ou la guerre. De mon point de vue, en restant dans la CEDEAO, la Mauritanie aurait plus de choses à gagner qu’à perdre.
Le développement des zones de libre -échange ne favoriserait -il pas l’explosion du commerce illicite dans la région ?
Difficile d’apporter une réponse à cette question. Nous avons des économies où l’informel est assez développé en raison des insuffisancesd’emplois. Mais pour autant, plus les contraintes d’ordres administratif, douanier ou procédural sont réduites, plus les acteurs économiques auront tendance à suivre les voies normales plutôt que de passer par des zones désertiques à haut risque ou par des pirogues pour traverser des fleuves.
Oui, le développement des zones de libre-échange fonctionnels et rationnels pourra contribuer à la réduction du flux du commerce illicite dans les régions africaines. L’intégration économique a un coût, il faut le payer ou y renoncer.
Vous venez de dire que l’intégration économique a un coût. Que vous voulez-vous dire par là ?
L’intégration a un coût parce que ce n’est pas un jeu. Un partenariat économique régional n’est durable que si chacun des partenaires se retrouve gagnant dans le jeu régional. Or, les Etats n’ont jamais les mêmes capacités financières ou économiques.
Il peut y avoir des zones homogènes mais il y a toujours une qui est plus avancée que l’autre, parfois plus compétitive que l’autre. En pratique cela signifie que les accords de libre-échange doivent être accompagnés d’instruments régulateurs qui permettent aux Etats les plus faibles de gagner un élément compensatoire par rapport à ce qu’ils vont perdre ou d’évoluer progressivement à un niveau comparable pour pouvoir concurrencer l’espace régional.
Pour que ce partenariat reste profitable à tous, il faudra donc trouver des voies qui permettront d’alimenter ces instruments sous forme de fonds d’accompagnement que nous pouvons appeler «fonds de précaution», «fonds de cohésion sociales» ou autres.
L’idée est de faire de sorte que les gains tirés derrière ces zones de libre-échange soient répartis entre les différents acteurs pour que celui qui perd à cause des concessions tarifaires se rattrape dans le jeu communautaire par des gains lui permettant de se mettre graduellement à un niveau qui lui permettra d’affronter le marché.
Ces fonds-là ont des coûts qui dépassent parfois les budgets de fonctionnement des institutions qui militent pour l’intégration. Il faut savoir que tant qu’on n’arrive pas à trouver les moyens de financer ces fonds durablement, certaines institutions ne se limiteront qu’au travail de l’administration de proximité, c’est-à-dire qu’elles borneront leurs actions à des choses élémentaires liées au payement de charges fixes des employés ou des factures.
Or, ce n’est pas cela l’intégration économique. L’intégration doit permettre aux partenaires d’avoir un développement harmonieux et homogène, ce qui suppose qu’il y a déjà des instruments financiers sur place.
Est-ce que ces mécanismes qui font défaut apparement à la plupart des organisations régionales africaines sont de mises dans l’Union Européenne?
En effet, tous les 7 ans, l’Union Européenne débloque une enveloppe de 900 à 1000 milliards d’euros dédiée au soutien des économies de nouveaux pays entrant et de ceux qui sont les moins développés. En Afrique, la CEAO, la CEDEAO et d’autres espaces ont accepté progressivement à mettre en place le schéma de financement de ce fonds d’accompagnement.
Ce qui a permis la durabilité de ces différentes institutions. D’autres comme l’UMA et l’UA même tirent jusque-là leurs ressources des budgets des Etats membres ou du bon vouloir des partenaires extérieurs. Donc, l’intégration à travers ces différentes institutions n’est pas évidente.
C’est dire encore, au risque de se répéter, que l’intégration a un prix, il faut le payer ou y renoncer. Ce prix est politique, économique, financier, militaire ou s’exprimant en termes d’engagements. Il faut qu’il y ait un pays locomotive qui paye le prix de l’intégration. Ce qui lui permettra de tirer les autres membres.
Pensez-vous qu’il y a de problèmes de gouvernance qui retardent l’intégration en Afrique?
La gouvernance de l’intégration en Afrique fait partie des défis majeurs de notre temps. C’est un défi au niveau national et au niveau régional. Au niveau national, on constate parfois, à la veille d’une réunion de négociation importante, qu’un ministre ou le représentant de l’État n’est même pas au courant du dossier.
Il ne maîtrise aucun élément du dossier et ne l’a pas partagé avec son staff ou conseiller. Or une décision en matière douanière, commerciale ou autre nécessite d’être outillée techniquement.
Ce qui veut dire que si l’expert ou le point focal négocie au nom de l’Etat, il doit avoir la capacité de défendre les intérêts généraux de son pays et surtout d’informer les autres parties concernées comme les parlementaires et la société civile.
Au niveau régional, le choix des dirigeants des institutions pose parfois problème. Il y a eu des cas de figure où nous avons remarqué une carence de compétences très marquée dans ces institutions. Aucune décision ne pouvait être prise car elle relève des chefs d’Etat.
Certains fonctionnaire d’institutions régionales se voyaient plus rattachés ou dépendants de leur gouvernement que de l’institution qu’ils dirigent et par laquelle ils sont payés. Enfin, je dirai que l’intégration économique régionale a besoin de pays locomotive. L’architecture du traité d’Abuja voulait dans son esprit que la Côte d’Ivoire soit la locomotive de l’Afrique de l’Ouest et le Zaïre, par exemple, celle de l’Afrique centrale.
Ibrahima Dia, envoyé spécial à Rabat