Le Calame - Aminetou Mint Moctar est une icône de la lutte pour les droits de l’homme, en particulier ceux des femmes, et enfants et contre l’esclavage.
L’AFCF qu’elle préside a fini de s’imposer dans l’échiquier national. AFCF fait trembler beaucoup d’hommes. Connue pour son franc parler et son courage, Aminetou Mint Moctar n’hésite pas à monter au créneau pour dénoncer toutes les formes d’injustices.
A l’occasion de la célébration de la journée internationale de lutte contre le travail des enfants, elle revient sur les efforts déployés par les pouvoirs publics et le travail de son ONG.
Le Calame : La Mauritanie vient de célébrer la journée internationale de l’enfance, le 12 juin. Quelle évaluation de vous faites de la situation des droits de cette catégorie dans notre pays ?
Aminetou Moctar : C’est un évènement important qui intervient, hélas en cette période de COVID 19 ; c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de grandes festivités.
Pour en revenir à la question, je vous dirais que l’AFCF, qui se bat pour le bien-être de la famille et donc de l’enfant, note quelques avancées en matière de protection des enfants. Un important arsenal juridique a été adopté. On peut citer dans ce cadre, l’Ordonnance n°2005-015 portant protection pénale de l’enfant, l’ordonnance de l’OIT sur le travail des enfants, la stratégie de protection de l’enfant. Ce sont des textes très importants et qui seront suivis par l’adoption d’un cadre juridique national beaucoup plus évolutif et ouvert par rapports aux textes précédents en ce sens qu’il prend en compte l’ensemble des protections juridique, sociale, économique et éducative...
Parallèlement à cela, il s’y ajoute la création de 3 brigades mineures dans les trois Wilaya de Nouakchott, dotées d’officiers de police judiciaire. Ces trois Wilaya disposent de magistrats spécialisés dans le traitement des problèmes d’enfants mineurs. On trouve également dans les Wilaya de l’intérieur du pays des officiers de police judiciaire affectés à la même tache. Et comme je l’ai dit tantôt, on peut se réjouir de ces avancées, même si dans le même temps, on peut déplorer le déficit en matière de formation dans la prise en charge aussi bien dans les commissariats que dans les tribunaux et les centres de détention des enfants.
C’est pourquoi, nous, organisations de défense des droits de l’homme, rencontrons d’énormes difficultés au niveau de certains staffs de la justice, en particulier au niveau de Nouakchott Est où les droits de l’enfant peinent à être respectés. Nous ne pouvons pas assister les enfants en difficultés comme nous le donne le droit. Ici, les dossiers relatifs aux viols sont classés sans suite, la liberté provisoire abusive accordée à leurs auteurs...Les magistrats ne demandent que des témoins qui peuvent être considérés comme des complices au lieu de la déposition de la victime ou l’expertise médicale pour fonder leur jugement. C’est l’impunité totale. Je peux vous citer le mariage d’une fille de 8 ans et demie, sans son consentement, ni celui de ses parents. Le tuteur de la fille et en même temps celui du mari, mais malgré ces vices de forme, aucun des responsables de la justice n’a accepté d’agir.
Pour en revenir à l’application de cet arsenal juridique, la Mauritanie a ratifié le Convention des droits de l’Enfant (CDE), la charte africaine de l’Enfant, comme elle a adhéré aux droits des migrants et la convention relative à la traite des enfants de l’OIT sur le travail des enfants. Nous saluons ces avancées mais souhaitons l’application de cet arsenal juridique.
-Quelles sont les violences dont sont victimes les enfants en Mauritanie ?
-Elles sont nombreuses et multiformes. Cela va du passage à tabac, de la maltraitance à l’usage des produits psychotropes ... Les cas sont légion. Tenez, nous avons récemment été saisis, au niveau de l’AFCF par le cas d’un enfant brûlé par son marabout. Il ne pouvait même pas s’asseoir. Après un mois 20 jours de séjour au service des grands brûlés, nous l’avons récupéré et assurons depuis, sa nourriture, ses soins médicaux et les frais d’une nourrice qui s’occupe de lui. Il bénéficie d’un régime spécial. Les frais médicaux nous sont assurés par l’OIM.
En outre, nous avons enregistré une recrudescence inquiétante des cas de viols à Nouakchott. 35 viols en un mois en cette période de pandémie. Ils touchent principalement des filles mineures, et les auteurs sont souvent des parents proches, des tuteurs, des repris de justice, des délinquants de tout acabit. Les filles sont attaquées, kidnappées, séquestrées, agressées dans les rues et même dans leurs maisons. Vous voulez des exemples, je vous en donne plusieurs. Vous n’avez certainement pas oublié le viol des 3 filles par un français, il y a quelques semaines. Deux ont eu à subir 2 interventions chirurgicales. Cette augmentation des viols s’explique par d’une part l’impunité qui prévaut et la libération pour cause de CORONAVIRUS de nombreux violeurs et autres délinquants est venue accentuer le phénomène.
On peut ajouter le cas de jeunes exposés à la drogue. C’est regrettable de le dire, mais nous avons une génération de délinquants qui se battent avec des armes blanches.
Autres enfants victimes de violences, les jeunes charretiers qu’on rencontre dans les rues de Nouakchott. Non seulement ils peuvent contracter de nombreuses maladies, mais sont victimes aussi des agressions de certains délinquants adultes qui les poussent à commettre des crimes.
Enfin, les enfants en situation de mobilité sont objet de toute sorte de violence. Il s’agit d’enfants abandonnés par leurs parents venus de pays étrangers, des enfants non accompagnés. Dans nos centres, nous avons récupéré 3 filles et leur maman. Leur père, Sierra Léonais est décédé et la famille s’est retrouvée exposée à la menace de viol d’un concitoyen. Beaucoup d’enfants venant de la frontière malienne et le camp des réfugiés sont aussi exposés aux violences parce qu’ils ne sont pas protégés. Nous y travaillons avec nos partenaires comme Terres des Hommes et UNICEF pour leur prise en charge ; nous intervenons dans ce cadre au niveau du centre d’accueil des enfants en conflit avec la loi et le centre fermé d’où nous récupérons des enfants condamnés. C’est dans ce cadre que nous avons récemment récupéré une mineure de 15 ans, victime de viol, elle est en état de grossesse très avancée. Nous sommes à la recherche d’une autorisation pour la ramener auprès de ses parents à Bout ; elle venait d’Aïnou. Pour ce faire, nous disposons d’avocats, d’assistantes sociales et de psychologues pour les cas que nous traitons.
Propos recueillis par Dalay Lam