Guinée: l'opposant Cellou Dalein Diallo revendique la victoire dans un climat de tension
La Croix - L'opposant guinéen Cellou Dalein Diallo, principal adversaire du président sortant Alpha Condé, a revendiqué lundi avoir remporté la présidentielle «dès la premier tour», sans attendre les résultats officiels, au risque de déclencher des troubles dans un pays où les nerfs sont à vif depuis des mois.
«Mes chers compatriotes, malgré les anomalies qui ont entaché le scrutin du 18 octobre et au vu des résultats sortis des urnes, je sors victorieux de cette élection dès le premier tour», a déclaré devant la presse M. Diallo.
«Il n'appartient ni à un candidat ni à une personne de s'autoproclamer vainqueur en dehors des instances définies par la loi», a répliqué le numéro 2 de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), Bakary Mansaré, interrogé par l'AFP.
«C'est une proclamation prématurée», qui est «nulle et de nul effet», a-t-il ajouté, en soulignant qu'il fallait attendre que la Céni publie ses résultats - «d'ici la fin de la semaine», selon lui -, puis que la Cour constitutionnelle se prononce, pour que le vainqueur officiel de la présidentiel soit connu.
Lors d'une fin de campagne tendue, le parti de M. Diallo, l'Union des forces démocratiques (UFDG), avait dit craindre de se faire «voler» la victoire, comme cela fut le cas selon lui en 2010 et 2015, déjà contre M. Condé, qui brigue pour sa part un troisième mandat controversé.
En boubou bleu ciel, toque et masque anti-Covid, M. Diallo s'est donc proclamé vainqueur dans l'après-midi depuis le QG de sa formation, dans la banlieue populaire de Conakry, pris d'assaut par des supporters montés sur les toits des bâtiments annexes.
«J'invite tous mes compatriotes épris de paix et de justice à rester vigilants et mobilisés pour défendre cette victoire de la démocratie», a ajouté M. Diallo, qui à 68 ans se présentait pour la troisième fois à la présidentielle.
Sa déclaration, d'à peine deux minutes, a été accueillie par des hurlements de joie de ses partisans et les cris de «Cellou président» ou «Victoire méritée», ont constaté des journalistes de l'AFP.
- Liesse dans les banlieues -
Les gens sont sortis par centaines le long de l'axe traversant la banlieue pour célébrer ce qu'ils appellent la victoire et voir passer les motos filant à fond de train en actionnant leur klaxon et en se livrant à des acrobaties pour exprimer leur liesse.
Les forces de sécurité en tenue anti-émeute se sont déployées en nombre aux principaux carrefours, faisant usage de gaz lacrymogène pour disperser les supporters de M. Diallo qui s'étaient rassemblés près de son domicile, selon un photographe de l'AFP.
Le camp de M. Diallo, qui se déclare inquiet de tricheries, avait annoncé qu'il publierait des résultats compilés par ses soins avec les données remontés de tout le pays, sans s'en remettre à la commission électorale ou, ultérieurement, à la Cour constitutionnelle, qu'il juge inféodées aux autorités en place.
Devancer la Céni reviendrait à mettre de «l'huile sur le feu», avait pourtant mis en garde dimanche soir le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, qui est aussi directeur de la campagne du président sortant. «C'est créer les conditions d'une situation de dégradation qui va échapper à tout contrôle».
Près de 5,5 millions de Guinéens étaient appelés dimanche à choisir parmi 12 candidats le prochain président de ce pays pauvre malgré ses immenses ressources naturelles.
Cette élection, la première d'une série de cinq présidentielles en Afrique de l'Ouest avant fin 2020, s'est déroulée dans un climat de tension qui fait redouter des troubles autour de l'annonce des résultats, dans un pays accoutumé aux confrontations politiques sanglantes.
- «Tourner la page» -
L'importance des appartenances ethniques ajoute à la volatilité de la situation. Un second tour, s'il doit avoir lieu, est programmé le 24 novembre.
Pendant des mois, l'opposition s'est mobilisée contre la perspective d'un troisième mandat de M. Condé. La contestation, lancée en octobre 2019, a été durement réprimée. Des dizaines de civils ont été tués.
Le nombre de mandats présidentiels est limité à deux. Mais pour M. Condé, la Constitution qu'il a fait adopter en mars pour, affirme-t-il, moderniser le pays remet son compteur à zéro.
La campagne, acrimonieuse, a été émaillée d'invectives, d'incidents et de heurts qui ont fait plusieurs blessés entre militants.
Ancien opposant historique devenu en 2010 le premier président démocratiquement élu après des années de régimes autoritaires, Alpha Condé revendique d'avoir redressé un pays qu'il avait trouvé en ruines et d'avoir fait avancer les droits humains.
M. Diallo propose de «tourner la page cauchemardesque de 10 ans de mensonges», fustigeant dérive autoritaire, répression policière, corruption, chômage des jeunes et pauvreté.
AFP