jeueafrique | Par Mehdi Ba
Dans un arrêt rendu le 28 avril, la Cour de justice de la Cedeao a estimé que le système de parrainage adopté pour la présidentielle de 2019 « viole le droit de libre participation aux élections ». Le Sénégal dispose de six mois pour le supprimer.
« La Cour décide que les formations politiques et les citoyens du Sénégal qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale [en 2018] doivent être rétablis dans leurs droits par la suppression du système de parrainage, qui constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote, d’une part, et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat, d’autre part. »
Dans son arrêt de 32 pages rendu le 28 avril , la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) porte un coup sévère au code électoral sénégalais, qui avait consacré, en février 2019, la réélection du président Macky Sall dès le premier tour, au milieu d’un désert de candidatures concurrentes.
Saisie en décembre 2018 par l’Union sociale libérale (USL), un parti présidé par l’avocat Abdoulaye Tine, la Cour de la Cedeao devait se prononcer sur un contentieux qui concerne en réalité la quasi-totalité de la classe politique du pays : la loi sur le parrainage – qui a abouti à écarter du scrutin présidentiel une large majorité des candidats – est-elle conforme aux standards de la Communauté ouest-africaine ?
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Loi d’éviction
À l’époque, le filtrage a eu des allures d’hécatombe. Sur 87 dossiers de candidature déposés devant le Conseil constitutionnel, seuls cinq avaient été retenus – dont celui du président sortant. « Il s’agit d’une loi d’éviction qui porte atteinte au principe de libre participation aux élections », déclare à Jeune Afrique Me Abdoulaye Tine, selon qui « l’encadrement d’un scrutin ne doit être ni arbitraire ni discriminatoire ».
Les avocats du Sénégal ont pour leur part évoqué l’incompétence de la Cour de la Cedeao pour statuer sur le sujet, ainsi que l’irrecevabilité de la requête, qui « vise uniquement à remettre en cause les lois votées par l’Assemblée nationale et les décisions du Conseil constitutionnel, d’une part, et à amener la cour de céans à vouloir assurer la police des élections présidentielles, d’autre part ».
L’USL avait saisi la Cour de justice de la Cedeao en vertu de la procédure d’urgence à quelques semaine de la présidentielle. Mais l’élection a eu lieu et Macky Sall a été réélu dès le premier tour avec plus de 58 % des suffrages. En revanche, d’autres arguments invoqués par le représentant de l’USL se sont avérés décisifs.
D’un côté, la Cour écarte certains arguments de l’USL : la demande de procédure accélérée (la présidentielle ayant déjà eu lieu au moment où elle examinait le dossier) ; la violation des droits des partis politiques ; et le caractère discriminatoire de la loi, estimant que celle-ci ne fait aucune distinction entre les formations de l’opposition et ceux de la majorité.
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Violation du secret du vote
De l’autre, elle se montre ferme sur un point qui, à lui seul, motive sa décision : « En effet, cette loi viole le secret du vote en obligeant les électeurs à déclarer à l’avance à quel candidat ils ont l’intention d’accorder leur suffrage puisqu’un électeur ne peut parrainer qu’une seule candidature », écrivent les magistrats. Une disposition qui, selon eux, « présume » le choix des électeurs concernés et contrevient à la confidentialité de leur vote.
Un problème renforcé par la disposition prévoyant que « la liste des électeurs ayant parrainé le candidat » doit être jointe à la déclaration de candidature, ce qui est de nature à « engendrer de nombreux abus, et même des représailles ».
Lever les obstacles
Déclarant recevable la requête de l’USL, la Cour de justice de la Cedeao considère in fine que le code électoral sénégalais, modifié en février 2018, « viole le droit de libre participation aux élections ». Elle « ordonne en conséquence à l’État du Sénégal de lever tous les obstacles à une libre participation aux élections consécutifs à cette modification par la suppression du système du parrainage électoral ».
Elle laisse par ailleurs six mois aux autorités sénégalaises pour « soumettre à la Cour un rapport concernant l’exécution de la présente décision ».
Reste à savoir si ces dernières se conformeront à cet arrêt (non susceptible d’appel) qui, s’il n’invalide nullement la présidentielle de 2019, enjoint au Sénégal de revoir son système de parrainage en vue de la prochaine élection.
« La préoccupation de la Cour est le problème de l’exécution de ses arrêts, déclarait son président, Edward Amoako Asante, en juin dernier. Bien que les arrêts de cette Cour aient force obligatoire pour les États membres, les institutions et les personnes physiques et morales, le niveau de conformité ou d’exécution des arrêts de la Cour est inquiétant. »