Les réparations aux Africains devront transformer les systèmes qui continuent de limiter l’avenir de leur continent

lun, 15/12/2025 - 13:03

 

par Claver Gatete*

 

Le début de l’année 2025 en Afrique a été marqué par une occasion historique. Pour la première fois, l’Union africaine a placé la question des réparations au centre de son programme pour le continent, les inscrivant dans le cadre plus large de son thème pour 2025. Cet engagement nous invite à affronter un passé douloureux, mais surtout à repenser les systèmes qui continuent aujourd’hui à limiter les perspectives de l’Afrique. Les réparations devraient corriger les profonds déséquilibres structurels afin que la terre, les populations et les ressources de l’Afrique soient le moteur d’une prospérité partagée, et non d’inégalités persistantes.

L’expérience de l’Afrique est particulière. Ce n’est un secret pour personne que, tandis que l’Afrique continue de fonctionner dans un ordre mondial façonné par l’esclavage, la colonisation et la dépossession, la même logique extractive qui s’est autrefois emparée des terres se manifeste aujourd’hui sous la forme de régimes commerciaux inégaux, de coûts d’emprunt gonflés et d’évaluations de crédit qui sous-évaluent les économies africaines. À cet égard, la gouvernance foncière, la justice et les réparations ne sont pas des débats rétrogrades ; ce sont des instruments essentiels de renouveau pour un continent qui reste un producteur marginal et un preneur de prix au sein des chaînes de valeur mondiales.

C’est pourquoi les conclusions de la Conférence sur la politique foncière en Afrique de 2025, qui s’est tenue du 10 au 14 novembre dans l’historique Maison de l’Afrique située dans l’enceinte de la Commission économique pour l’Afrique, revêtent une importance capitale. Organisée sur le thème « Gouvernance foncière, justice et réparations pour les Africains et les descendants de la diaspora africaine », la Conférence a fait de la terre le lien entre l’injustice historique, l’exclusion actuelle et les opportunités futures. Elle constitue une plateforme continentale permettant de présenter les réparations comme un programme tourné vers l’avenir qui relie les droits fonciers, le financement équitable, la résilience climatique et l’industrialisation.

Le déséquilibre est flagrant. Bien qu’elle détienne environ 30 % des réserves minérales mondiales, 65 % des terres arables non cultivées et la population la plus jeune, l’Afrique ne représente encore qu’une petite part du commerce mondial et environ 2 % de la production manufacturière mondiale. Le continent perd environ 88 milliards de dollars par an en flux financiers illicites, tandis que des notations de crédit injustes et un accès limité au financement climatique renforcent un cycle dans lequel la richesse en ressources ne se traduit pas par une transformation structurelle.

Comme l’ont conclu les parties prenantes, parmi lesquelles figuraient des exploitants agricoles et des représentants des autorités traditionnelles, du secteur privé, du monde universitaire, des gouvernements et des partenaires de la Commission économique pour l’Afrique et de ses coorganisateurs, l’Union africaine et la Banque africaine de développement, les réparations transformatrices doivent s’attaquer aux règles, aux incitations et aux institutions qui maintiennent l’Afrique en bas des chaînes de valeur mondiales, notamment celles qui favorisent les exportations de matières premières brutes au détriment de la valeur ajoutée.

Cela signifie qu’il faut supprimer les incitations qui condamnent les pays africains à exporter des fèves de cacao plutôt que du chocolat, du lithium plutôt que des batteries électriques, ou du pétrole brut plutôt que des produits pétrochimiques. Les réparations doivent permettre à l’Afrique de générer et de conserver de la valeur, et non de la céder.

Au niveau national et local, cela commence par le renforcement de la gouvernance foncière et de la sécurité foncière, en particulier pour les femmes, les jeunes et les petits exploitants agricoles. En effet, des systèmes fonciers sûrs et transparents ne sont pas seulement une question de justice ; ils sont également le fondement de la sécurité alimentaire, de l’investissement, de la stabilité sociale et de la paix. Ils doivent constituer la base de tout programme de réparations sérieux. Tout aussi important, la gouvernance foncière doit être définie au niveau national, en fonction des cadres juridiques souverains, des contextes locaux et des priorités des communautés. Cela signifie que les réparations ne peuvent pas imposer des approches uniformes ; elles doivent plutôt donner aux pays les moyens de déterminer et de mettre en œuvre des solutions adaptées à leurs réalités nationales. Au-delà de cela, les outils numériques et les pratiques intelligentes face au climat peuvent moderniser l’administration foncière, protéger les écosystèmes et garantir que les communautés les plus vulnérables aux changements climatiques ne soient pas davantage marginalisées ou laissées pour compte.

Les institutions et les acteurs capables de concrétiser cette vision sont tout aussi essentiels. Les universités africaines, par exemple, doivent renforcer leur rôle de moteurs de la connaissance au service de la résolution des problèmes. Elles doivent aligner leurs programmes d’études sur les industries d’avenir, valoriser les connaissances autochtones et développer des innovations qui traitent de la gouvernance foncière, du développement industriel et de la résilience climatique. En travaillant directement avec les décideurs politiques et en encourageant les jeunes talents, les universités peuvent faire passer le programme de réparations du stade de la rhétorique à celui de politiques applicables.

Dans ce contexte, les opportunités créées par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) sont décisives. Avec un PIB combiné d’environ 3 400 milliards de dollars, la ZLECAf offre à l’Afrique l’échelle dont elle a besoin pour convertir ses ressources naturelles en chaînes de valeur régionales, en produits africains compétitifs et en marchés intérieurs dynamiques. Les réparations doivent donc être liées à l’intégration régionale, non seulement pour corriger les torts historiques, mais aussi pour créer de nouvelles voies économiques qui mèneront à des emplois dignes, à des industries compétitives et à une prospérité généralisée.

Les réparations transformatrices doivent également reconnaître la sixième région africaine, la diaspora, comme un partenaire stratégique et non juste comme un acteur périphérique. Le capital, l’expertise et la mobilisation de la diaspora peuvent accélérer les transitions industrielles, numériques et cognitives de l’Afrique si tous ces éléments sont canalisés au moyen d’instruments structurés alignés sur les priorités du continent.

De même, le soutien apporté par l’Afrique aux membres de sa diaspora devrait aller plus loin que de simples transferts de fonds et cibler des politiques qui protègent leurs droits, reconnaissent leurs contributions et intègrent leurs intérêts dans les pays où ils résident.

En fin de compte, l’importance des réparations ne se mesurera pas à leur valeur symbolique, mais à leur capacité à rééquilibrer le pouvoir sur la terre, le capital, la technologie et le savoir. Lorsque la finance mondiale deviendra équitable, lorsque les droits fonciers seront garantis et inclusifs, lorsque les industries africaines transformeront les ressources africaines à l’intention des marchés africains et mondiaux, alors les réparations auront commencé à atteindre leur objectif.

Dans cet avenir, il n’y aura plus de dépossession des terres, et la terre deviendra le fondement d’une Afrique juste, prospère et confiante.

Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, Addis-Abeba