Debellahi ABDEL JELIL - Les médias officiels ont récemment fait cas de la tenue d'un comité interministériel dédié à une éventuelle révision du code des marchés publics.
C'est pour moi une opportunité pour réitérer des propositions que j'ai déjà formulées, en septembre 2020, comme contribution à la réflexion dans ce domaine. En effet, il y a une année déjà, un conseil des ministres avait adopté des amendements aux procédures de passation des marchés publics actuellement en vigueur en Mauritanie.
Selon les explications officielles alors, lesdits amendements ont pour objectifs principaux, la réduction des délais de traitement des dossiers d'appel d'offres et l'amélioration de la transparence dans l'attribution des marchés.
N'ayant pas pris connaissance, en détails, des mesures prises ou envisagées, je ne peux porter d'appréciations objectives et exhaustives sur l'ampleur des résultats qu'on pourrait en attendre ou l'impact réel qu'on pourrait en escompter.
Mais je n'ai pas besoin de cela pour pouvoir dire que la précédente réforme, après avoir fait couler beaucoup d'encre, et peut-être de salives, avait montré clairement ses limites, et démontré, sans ambiguïté, qu'une montagne, au lieu d'accoucher d'une mignonne petite souris, pouvait tout simplement avorter. En conséquence, toute amélioration de l'existant ne peut-être que jugée positive, surtout, et je le souhaite vivement, si le choix des mesures en cours de mise en œuvre l'a été à partir d'une évaluation diagnostique de l'expérience vécue jusqu'à présent en la matière.
L'ancienne réforme, qui fait partie du copier/coller que la Banque mondiale impose ici et là à tout "patient" quelle que soit sa pathologie, présentait de nombreux dysfonctionnements et insuffisances dont je m'en vais énumérer quelques-uns, pêle-mêle :
1) les commissions de passation des marchés, d'abord sectorielles, puis multi-sectorielles, travaillent dans des conditions d'extrême précarité. Il suffit de visiter les locaux de l'une d'entre elles, n'importe laquelle, pour s'en rendre à l'évidence. En plus, les membres desdites commissions sont traités, en termes de salaires et avantages, comme des "journaliers". Leurs états de salaires étaient soumis, mensuellement et de façon manuelle, à l'appréciation du ministre de l'Économie et des finances qui les signaient ou rejetaient, suivant son humeur.
Comment confier à d'honorables Messieurs et de braves Dames la manipulation de dossiers traitant de multitudes de milliards de Mro d'abord et de Mru ensuite, et les traiter avec cette légèreté méprisante et déconcertante ? N'était-ce pas une incitation, à peine voilée, à se faire soudoyer, à la fois, par des hommes d'affaires et ceux "des affaires" ? Je vous laisse en juger vous-même. Il est indispensable que les commissions des marchés soient indépendantes et, autant que faire se peut, dotées de moyens et conditions de travail décentes, mises à l'abri du besoin et "immunisées" contre les tentations.
En outre, il n'est pas évident que leur semi-fonctionnarisation soit la meilleure manière de les fiabiliser. Une réflexion devrait être menée pour concilier leur fonctionnalité à une meilleure efficacité et une plus grande confidentialité ;
2) le mode d'attribution des marchés est à l'origine de la faillite de beaucoup de nos entreprises, surtout de BTP. Demandez au ministère de l'Urbanisme et de l'habitat le nombre de chantiers de bâtiments administratifs arrêtés pour cause de défaillance des attributaires. La cause en est, pour la grande majorité des cas, le choix du moins-disant au lieu du mieux-disant. L'une de deux solutions aurait pu éviter beaucoup de déboires :
(i) La publication du budget dans l'appel d'offres. En effet, la publication du budget a pour excellent avantage d'éviter qu'il ne devienne une information qui se monnaye en catimini. Le budget est destiné à réaliser le travail pour lequel il a été budgété. Pourquoi donner l'impression de vouloir y faire des économies ?
Ceux qui se prévalent de réaliser des performances en "économisant" sur leur budget d'investissement (surtout), sont tout simplement de piètres gestionnaires : ou ils ne savent pas programmer ou leur mise en œuvre douteuse.
(ii) L'établissement d'un devis interne en deçà duquel on n'attribue pas le marché. L'objectif de l'administration n'est ni de "mettre à genoux" les entrepreneurs ni d'enclencher d'interminables litiges avec ceux-ci. Des litiges qui, en définitive, n'auront comme corollaires que l'allongement déplorable des délais et l'augmentation injustifiée des coûts.
Choisir le mieux disant, c'est opter pour la qualité et son juste prix dans l'égalité des chances entre les soumissionnaires éligibles.
3) la sous-traitance est négligée et banalisée. Pourtant, la sous-traitance est à l'origine du développement et de l'émergence de nombreux pays dans le Monde. Pourquoi ne pas capitaliser les réussites de leurs expériences ? La sous-traitance a pour impacts et effets, entre autres, de :
- multiplier et développer les petites, moyennes entreprises et industries (PME/PMI) ;
- créer plus d'emplois, y compris pour les diplômés et ouvriers spécialisés ;
- développer et diversifier le savoir-faire national par la promotion du faire faire ;
- mieux répartir la richesse nationale ;
- accélérer la cadence de mise en œuvre des projets et améliorer ainsi le taux d'absorption des fonds, qu'ils proviennent des PTF ou de nos ressources propres ;
- améliorer qualitativement les infrastructures et autres réalisations par la saine émulation et la loyale concurrence entre les sous-traitants qui s'y investiront "religieusement" pour maintenir leur éligibilité à la confiance des entrepreneurs et de l'administration qui aura la charge de réguler cette activité ;
- etc...
La sous-traitance aura aussi l'avantage de pouvoir doter nos Wilayas, en dehors de Nouakchott, de PME/PMI structurées et relativement équipées. Ceci aura, à l'avenir, l'avantage de nous fournir des moyens d'intervention de proximité en cas d'urgences ou de catastrophes, comme en ont montré l'extrême nécessité les intempéries de l'année dernière. Aussi, une telle configuration permettrait de réduire le coût des travaux, car le poste "amenée et repli du matériel" représente habituellement entre 15 et 30% du montants des marchés de travaux.
Malgré cet éventail, non exhaustif, des avantages de la sous-traitance, elle a failli être ignorée par la réforme en question. Elle y est simplement admise sous réserve d'une permission, et plafonnée à 20/25 % du montant du marché. Je pense, plutôt, qu'elle devrait être obligatoire jusqu'à ce seuil, permise, et, peut-être, soumise à autorisation, au-delà de 25 pour cent.
Nos entrepreneurs se voient adjuger des marchés de grande complexité et avec des montants colossaux. La complexité a besoin de la mise à contribution de compétences multiples et les montants faramineux doivent profiter à un maximum de personnes parmi ceux qui peuvent produire ou agir dans le domaine de compétence. L'État doit, et peut, inventer des solutions originales sui promeuvent des PME de BTP délocalisées, par un crédit-bail dont il se porterait caution pour les jeunes entrepreneurs regroupés en structures au statut juridique à arrêter entre eux, l'administration et les juristes spécialisés en la matière.
En conclusion, pour que les marchés publics le soient réellement et le demeurent, il doit être perpétuellement recherché le moyen d'améliorer les procédures, réduire les délais sans préjudice qualitatif, et optimiser les impacts. Les mesures en cours sont à encourager mais toute chose étant toujours perfectible, j'ai tenu à apporter cette modeste réflexion-contribution. C'est notre devoir à chacun, étant entendu qu'il s'agit du devenir de notre pays à tous.
Debellahi ABDEL JELIL
Nouakchott 12/09/2021