Quand j'ai rencontré longuement Bouteflika à la veille de son accession au pouvoir, il m'a paru porteur d'un grand espoir pour son pays, qui peinait alors à sortir de longues années de guerre civile sanglante qu'il nommait «la décennie noire». (Photo, AFP)
La récente disparition de l'ancien président algérien, Abdelaziz Bouteflika, quasiment dans l'anonymat, et la tragique fin politique du chef d'État guinéen, Alpha Condé, méritent d'être méditées. Les deux anciens présidents ont en commun une longue expérience politique dans l'opposition et l’exercice du pouvoir, un véritable leadership charismatique, et un épilogue malheureux en politique.
Malgré la différence notoire entre la Guinée et l'Algérie, les sorts des deux pays se sont croisés à plusieurs reprises. La Guinée de Sekou Touré, qui a été le seul pays d’Afrique francophone à opter en 1958 pour l'indépendance totale et immédiate, et l’Algérie, ont été à l’avant-garde du mouvement tiers-mondiste et anticolonial en Afrique dans les années 1960 et 1970.
Chacun des deux pays était dirigé par un parti révolutionnaire unique qui avait le monopole de la vie politique. Alors que Bouteflika devenait l'homme fort du régime du président Boumédiène, Alpha Condé était encore un opposant intransigeant au pouvoir despotique de Sekou Touré, contraint à l'exil en France.
Après la mort de Boumédiène en décembre 1978, Bouteflika a vécu une longue traversée de désert, se trouvant écarté des sphères du pouvoir, inculpé par la justice, et forcé à l'exil. C’est à ce moment-là que les trajectoires du professeur universitaire guinéen et de l'ancien puissant ministre des Affaires étrangères algérien se sont entrecroisées.
Destins croisés
Si Condé est rentré en Guinée après la mort de Sekou Touré (décédé en mars 1984), subissant les affres de la répression sous le régime militaire de Lansana Conté, qui s'est maintenu au pouvoir de 1984 à 2008, Bouteflika a adopté un profil bas durant le règne de Chadli Bendjedid, manœuvrant habilement pour gagner la confiance de l'institution armée, qui a fini par parrainer sa candidature à la présidence en 2000.
Quand j'ai rencontré longuement Bouteflika à la veille de son accession au pouvoir, il m'a paru porteur d'un grand espoir pour son pays, qui peinait alors à sortir de longues années de guerre civile sanglante qu'il nommait «la décennie noire».
L'homme était d'une grande éloquence, d'une finesse d'esprit sans limite, et faisait figure d'homme providentiel pour une Algérie meurtrie et désemparée. Ses premières décisions ont été à la hauteur des défis internes. Il a résolu la crise politique et porté la paix civile, redressé l'économie moribonde, et a assaini la position diplomatique de son pays sur l'échiquier international.
Sans être libéral-démocrate dans l'âme, Bouteflika a néanmoins réussi au cours de ses premiers mandats à affranchir la vie politique du poids exorbitant de l'armée, et a préservé le cadre institutionnel du multipartisme embryonnaire, tout en ménageant les équilibres précaires de la scène politique algérienne.
La dérive autoritaire du régime de Bouteflika a débuté à partir de 2008, quand la Constitution a été révisée pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats légaux à la tête du pays. Le président, atteint d'un sévère accident vasculaire cérébral depuis 2013, a ensuite perdu progressivement le contrôle des leviers du pouvoir, devenant otage de son cercle familial et politique proche. Le soulèvement contestataire de février 2019 a été un désaveu radical pour Bouteflika, contraint par la suite à la démission pour finir ses derniers jours dans l'anonymat.
Condé, quant à lui, a été élu président de la République en 2000. Doté d'une légitimité issue de son militantisme politique et consacré par les urnes, il a été considéré comme le sauveur attendu d'une Guinée qu'il a qualifié à juste titre de pays, et non d’État.
Le brillant sociologue et juriste, qui a enseigné dans les prestigieuses universités françaises, et a côtoyé les grandes figures de l'Internationale socialiste, a été le mieux préparé pour guider la Guinée vers la stabilité et la prospérité.
Son règne, parti sur des bons rails, s’est vite transformé en un régime corrompu et totalitaire, qui a instrumentalisé les institutions politiques pour pérenniser sa mainmise sur tous les secteurs de la vie publique. En contrevenant à la règle constitutionnelle sacrée de la limitation des mandats, qui demeure la seule garantie de l'alternance pacifique en Afrique, il a entraîné son pays dans une nouvelle crise politique, engendrant au final un nouveau coup d'État militaire. L'ancien président français François Mitterrand disait autrefois à ses confidents qu’être de gauche était une voie propice pour accéder au pouvoir, mais que cela ne constituait en aucun cas une bonne politique de gouvernement. Les parcours croisés de Bouteflika et Condé en sont l’illustration parfaite.
(Source : ArabNews)