Trois remarques sur l'article « Le pays vivra-t-il un coup d’État judiciaire cette fois-ci ? »/Par Me Mohameden Ould Ichidou

sam, 07/12/2024 - 20:55

Il semble que la polémique « juridique » soulevée par le bâtonnier Brahim Ould Ebety sur « l’impossibilité » de la recevabilité par le Conseil Constitutionnel du recours de la défense de l'ancien président de la République contre l'inconstitutionnalité de l'article 2 de la loi anti-corruption, au motif que « le président n’est pas au-dessus des lois et doit être jugé », tend à s’amplifier, le recours en question étant devenu l’événement le plus marquant de l’actualité morose qui caractérise la scène mauritanienne.
Outre un article publié dans « Al-Quds Al-Arabi » par Monsieur Abdallah Mouloud dans lequel il prend fait et cause pour les déclarations de ceux qui, en violation flagrante de l’article 93 de la constitution, s’arrogent la qualité de partie civile, en l’absence de tout fondement factuel ou juridique, voilà qu’un autre article, traitant du même sujet vient d’être publié, sous le titre évoqué tantôt.
Cet article abonde dans le même sens que la littérature développée par les dénonciateurs de la décennie, pour le peu d’intérêt accordé à la cause nationale, outre un manque criant de connaissance juridique ayant fait éloigner son auteur du sujet.
A cet effet, il sied apporter les observations suivantes à cet article  :
1. D’emblée, l’auteur s’interroge sur l’éventualité d’un coup d’état judiciaire en intitulant le titre de son intervention en ces termes : « Le pays vivra-t-il un coup d’état judiciaire cette fois-ci ? »
Il aurait été plus approprié pour quelqu’un au parfum de ce dossier de près de deux mille pages, qui a dominé l’actualité pendant une demi-décennie, qu’il se posât la question sous la forme correcte, en la formulant de la sorte : « Le Conseil Constitutionnel réussira-t-il à faire échouer le coup d'Etat judiciaire contre la Constitution ? ».

 

Coup d’état judiciaire

En effet, toute cette affaire n’est que l’expression voilée d’un coup d’état judiciaire dirigé par le pouvoir exécutif contre un texte constitutionnel clair, mais étouffé à dessein par une fausse interprétation émanant d’une autorité incompétente qui l’a altéré par le recours systématique à la perversion des faits, l’altération des textes de la procédure pénale dans le but de nuire de manière préméditée à un adversaire politique qui n'a commis aucun acte répréhensible et qui, de surcroît, est protégé par la Constitution, le texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes juridiques.
C’est le lieu de rappeler que la commission d'enquête parlementaire, toute drapée d’illégalité qu’elle est, s’est abstenue d’incriminer l'ancien président sans son rapport ; le vice-président de cette commission l'a déclaré à Al-Akhbar le 1° février 2020, en ces termes : « Si les médias se penchent sur la teneur des travaux de la commission parlementaire, ils verront que la décennie n’y est évoquée nulle part, ni le régime, et encore moins le président..., » avant de poursuivre « …. Selon la Constitution, le président ne peut être poursuivi qu'en cas de haute trahison ».
Dans ses réquisitions écrites du 6 août 2020, le ministère public a demandé à l'officier de police judiciaire, directeur de la lutte contre la délinquance économique et financière de diligenter « une enquête préliminaire sur les faits contenus dans les rapports de la commission parlementaire », mais en violation de ces réquisitions, l’officier a diligenté une enquête sur « les biens de Mohamed Ould Abdel Aziz, les membres de sa famille et de son entourage » !
Curieusement, la réaction du ministère public à ce détournement de procédure, assimilable à un acte de rébellion, a été de faire sienne la démarche de l’officier de police judiciaire, bien qu’empreinte d’illégalité manifeste, pour n’avoir pas respecté les réquisitions qui lui ont été adressées par le procureur de la République.

 

Procédure détournée
Dès lors, plus de 120 ordonnances, toutes intervenues en violation de la constitution et des lois de la République ont été prises à l’encontre de l’ancien président, de manière systématique.
Cher frère écrivain, aviez-vous connaissance de ces faits clairs et irréfutables ? Et si vous n’en aviez pas connaissance, dans quelle proportion cela aurait-il influencé votre opinion sur ce dossier créé de toutes pièces, fabriqué de « A à Z !? »
2. Le document examiné poursuit en disant : « La justice ordinaire a interprété l'article [93] en relevant que le procès intenté contre Mohamed ould Abdel Aziz est régi par de droit commun, au motif que les accusations portées contre l’ancien président ne peuvent être incluses dans le champ d'application de cet article, parce que ces accusations concernent des domaines qui ne relèvent pas de la compétence constitutionnelle du président, réalisant ainsi pour le régime actuel ce à quoi il aspirait.»
La mention « C'est ce à quoi le régime aspirait », nécessite un examen minutieux pour plusieurs raisons, notamment :
- Que la «justice ordinaire » n'a aucune compétence pour interpréter la Constitution, surtout la justice pénale. En effet, le texte constitutionnel ne peut être interprété que par la justice constitutionnelle exclusivement, d'une part, et d'autre part, le texte pénal est un texte qui s'applique s'il est clair, mais s'il est ambigu, il doit être interprété en faveur de l'accusé, afin de préserver le principe de la présomption d'innocence ; ainsi donc, proclamer de manière péremptoire que « le procès d’Ould Abdel Aziz par la justice de droit commun est dans l’ordre normal des choses » est une affirmation gratuite.
Dire que « les accusations portées contre l’ancien président ne peuvent pas être incluses dans le champ d'application de cet article, parce que ces accusations concernent des domaines étrangers à la compétence constitutionnelle du président » est une déclaration qui ne repose pas sur le texte de l'article 93, et de surcroît, le tribunal n’a pas fait sienne une telle assertion. Il s'agit plutôt d'un prétexte dont se prévalent les amis du bâtonnier pour justifier ce qu'ils font. Relisez donc l'article d'une part, et vérifiez, d'autre part, qu'aucune preuve n’est venue étayer ces prétendues accusations, pour vous faire une idée plus précise sur leur inclusion ou non dans le champ d'application de l’article 93.
- Il est vrai que le régime a réalisé ce à quoi il aspirait par ce procès factice. Mais il y est parvenu en dehors de la légitimité et de la loi, par de fausses interprétations ! «... et le faux n’a ni tenants ni aboutissants. », Coran, XXXIV, 49.

 

Position constante
3. Enfin, ce qui est dit dans l'article que « l'interprétation que pourrait donner aujourd'hui le Conseil Constitutionnel du contenu de cet article d'une manière différente de (celle de la justice, qui n'a pas le droit d'interpréter »), en ferait un article protégeant en toutes circonstances le président (n’importe quel président) contre toute mise en cause de sa responsabilité.
Cette interprétation serait en soi, une garantie exceptionnelle pour le président actuel contre toute mise en cause de sa responsabilité à l’avenir » ; il en sortira le seul gagnant, pour les raisons mentionnées dans l'article examiné qu'il n'est pas possible d'énumérer ici, est une assertion absolument vraie ; le collectif de défense de l’ancien président l’a annoncé publiquement dans sa déclaration solennelle devant le Conseil Constitutionnel, en ces termes : « Nous, collectif de la défense de l’ancien président, ne sommes pas venus aujourd’hui au conseil constitutionnel pour défendre notre seul client, mais nous sommes également venus défendre la constitution, l’Etat des institutions, et tous les présidents précédents, et futurs de la Mauritanie...". Il s’agit d’une position constante du collectif de défense, qui découle de sa conception juridique fondé sur l’attachement au droit et à la patrie. Mais il existe dans le pays - malheureusement - d’autres forces déstabilisatrices véhiculant d’autres concepts et positions qui n’ont cure de la justice et de la loi, et qui font pression de toutes leurs forces sur le président de la République, le conseil constitutionnel, la justice et le gouvernement au nom d'une « anarchie créatrice » qui n’est régie par aucune constitution, ni loi, ni morale ni religion, pour exclure les autres et resserrer leur emprise sur le peuple et le pays.
L’auteur de l’article critiqué poursuit « ..demeure  la philosophie du droit et les objectifs initiaux de l’élaboration des constitutions, et leur incompatibilité avec cette immunité absolue qui signifierait nécessairement l’établissement d’un pouvoir absolu » … Peut-être que tout cela n’est que mensonges et calomnies contre le la Constitution, la loi et l'État ! Nous ne sommes pas des législateurs qui promulguons et abrogeons les lois, non plus des curieux assoiffés de scruter l’avenir, et d’en disséquer les secrets ! Nous sommes plutôt des juristes parlant de ce qui se trouve dans la Constitution et les lois de la Mauritanie !
La constitution, en son article 4, dispose : « La loi est l'expression suprême de la volonté du peuple. Tous sont tenus de s'y soumettre. » Est-ce que l'article 93 fait partie de la Constitution mauritanienne ou non?! La Mauritanie a-t-elle encore une Constitution ?
Tel est le nœud du problème.