Algérie : Cinq choses à retenir de ce septième vendredi

mar, 14/05/2019 - 10:28

Ceux qui misaient sur l’essoufflement du mouvement se sont de nouveau trompés. On l’a écrit sur ces mêmes colonnes et il faudra peut-être le répéter : chaque vendredi fait presque oublier celui qui le précède.

Le 22 mars, en marchant sous la pluie, les Algériens avaient démontré toute leur détermination. Ce 5 avril, ils étaient encore des millions à sortir dans la rue à travers tout le pays, malgré la démission de Bouteflika trois jours plutôt. À Alger, on a vu les mêmes images de rues noires de monde dans tout le centre-ville et assisté aux mêmes scènes de joie.

Les nouveaux tenants du pouvoir doivent en déduire que le peuple ne rentrera pas chez lui avant d’avoir obtenu ce pourquoi il est sorti dans la rue. Le caractère pacifique des manifestations est aussi définitivement ancré. La police encadre les marches avec le même professionnalisme et les slogans de fraternisation entre le peuple et les services de sécurité sont toujours là.

2. Les femmes n’ont peur de rien

Deux jours avant les marches de ce vendredi 5 avril, un homme a posté sur les réseaux sociaux un message appelant à asperger d’acide les femmes manifestantes, notamment celles qui ne sont pas habillées conformément à son idéologie d’un autre âge. C’est un Algérien résidant à Londres. Le post est devenu viral en quelques heures. Il a été retiré et son auteur a présenté ses excuses, mais le message était déjà largement partagé en Algérie.

Certains avaient redouté une faible présence des femmes car le châtiment que cet individu avait préconisé est de nature à dissuader les plus courageuses. Mais beaucoup ont tenu à être présentes. Dans les rues d’Alger, elles étaient aussi nombreuses que les week-ends passés.

3. Les Algériens n’ont pas fêté le départ de Bouteflika

Ce vendredi devait être celui où les Algériens allaient fêter en liesse le départ de Bouteflika après un règne qui a duré vingt ans. Mais l’événement est passé presque inaperçu chez les manifestants. Les slogans et les pancartes évoquant le désormais ex-président n’étaient pas nombreux. Quelques-uns ont apporté des réponses à son message d’adieu où il a demandé pardon, mais sans plus.

L’explication est éminemment politique. Le départ de Bouteflika figurait certes en tête des revendications depuis le 22 février, mais ce n’était pas une fin en soi. Les manifestants n’ont pas perdu de vue l’objectif final de leur mobilisation, soit le démantèlement total et définitif du système en place depuis l’indépendance. Même les poursuites annoncées contre certains proches du régime n’ont pas constitué un thème central. Le message est aussi clair : les Algériens ne veulent pas de la vengeance, mais du changement.

4. Gaïd-Salah ni glorifié ni critiqué

Le président Bouteflika n’aurait peut-être pas lâché le pouvoir sans l’entrée en scène de l’armée. Le peuple manifestait contre lui depuis un mois et demi et il n’était pas parti. Mais il a démissionné deux heures après une ferme sommation du commandement de l’ANP.

Néanmoins, les Algériens qui ont manifesté ce vendredi n’ont pas célébré le chef de l’armée en héros. Ils ne l’ont pas critiqué non plus. Ahmed Gaïd-Salah a figuré sur certaines pancartes, il a eu quelques louanges, des piques aussi, mais globalement, les manifestants préfèrent attendre la suite des événements. Ils ont juste signifié qu’ils refusent de faire le jeu d’un clan au détriment d’un autre.

L’attitude de l’armée dans les jours à venir sera décisive. Elle pourrait accélérer la solution ou, au contraire, la compliquer si le commandement persiste à s’en tenir au « cadre constitutionnel », donc à une transition gérée par les institutions et les hommes hérités de Bouteflika.

5. La rue veut d’abord sauver la transition

La maturité politique des manifestants n’est pas une vue de l’esprit. Ce vendredi, ils ont encore prouvé qu’ils savent saisir les enjeux et définir les priorités. Beaucoup de pancartes rejetant les nouveaux trois « B » ont été brandies. Les Algériens ont dit non à une transition gérée par Abdelkader Bensalah à la présidence, Noureddine Bedoui au gouvernement et Tayeb Belaïz au Conseil constitutionnel.

Ils ne font pas confiance à ces trois fidèles de Bouteflika et ils l’ont dit sans ambages. Ils ont signifié que leur révolte n’était pas destinée uniquement contre Bouteflika et son entourage, mais contre tout le système.

Une transition gérée par des figures clés de ce même système n’a que très peu de chances de déboucher sur un véritable changement. C’est donc l’exigence de la mise en place d’une instance présidentielle qui est réitérée. tsa-algerie.com