L’article que je vous livre aujourd’hui est vieux de 27 ans (en tout cas moins vieux que son auteur). Il a été écrit lors des élections présidentielles de 1992. Certains amis m’ont suggéré de le republier de nouveau. Car il est d’actualité, estiment-ils. Aussi cédant à leur conseil, je vous le livre. Tout en espérant apporter une modeste contribution aux débats politiques actuels.
Chers concitoyens, bonne année 1992 ! Et surtout, bon choix (parmi vos candidats) ! Nous avons, aujourd’hui la possibilité de choisir et d’élire les hommes (et les femmes) qui peuvent conduire ce pays vers un avenir radieux. Un avenir de justice sociale, de paix et de prospérité. Cette responsabilité incombe, en premier lieu, à nous autres électeurs ; sachons donc faire un vote utile afin que gouvernants et gouvernés soient liés par un sens d’utilité publique et de patriotisme.
Sachons aussi que les grands ouvrages ont été le fruit d’élans collectifs de grands peuples et que rien ne vaut d’être gagné sans efforts et sans fraternité. Car jusqu’ici, dans ce pays qui fait notre fierté, les véritables liens existants entre gouvernés et gouvernants n’ont été matérialisés que par l’impôt que versent les premiers au profit des secondes. Puisque nous avons la possibilité de changer cette situation, commençons par nous changer nous-mêmes : changeons notre état d’esprit, débarrassons-nous de nos idées reçues, tout en conservant nos valeurs spécifiques ; tout en sachant que la démocratie n’est pas une voiture ‘’tout terrain’’, livrée clef à main, que l’on peut utiliser n’importe comment.
La démocratie n’est pas l’élaboration de règles de conduite- si modernes soient-elles qu’on doit matérialiser par des actes. Elle est, plutôt, un état d’esprit, une mentalité, un mode de vie. Elle ne s’importe pas, comme elle ne se calque pas. Elle doit être l’émanation psychosociologique d’une société. Elle est le fruit du soubassement culturel d’une nation. Rien ne sert d’avoir la plus belle constitution du monde si l’âme du citoyen ne s’y prête pas. Le but, ici, n’est pas de donner une définition de la démocratie mais de souligner l’importance que peut avoir, dans la gestion de la nation, le citoyen en terre de démocratie. L’acte de voter est, non seulement, un droit et un devoir mais c’est aussi un acte historique, solennel, voire ’acte de voter est, non seulement, un droit et un devoir mais c’est aussi un acte historique, solennel, voire même grave. C‘est par cet acte que l’on transfert à un homme un pouvoir qui lui permet de disposer de l’avenir de ses semblables.
Les responsabilités suprêmes, dans ce pays, doivent être confiées à des hommes de qualité exceptionnelle( il est vrai qu’ils sont rares, par les temps qui courent , car ‘’la mauvaise monnaie chasse la bonne’’ ; des hommes d’action et de compromis qui soient capables de marier les contraires et de les faire cohabiter dans un même gouvernement, dans une même institution ; des hommes , seuls chirurgiens capables de suturer les plaies socio-économiques causées par la gestion des engeances qui ont régenté le pays, trois décennies durant ; des hommes qui soient loin de tout esprit clanique et qui puissent infliger des sanctions et donner des récompenses , sans hésitations ; enfin , des hommes avec un esprit ouvert , loin de tout complexe, qui acceptent les critiques et qui ont le courage d’avouer leurs erreurs. Autrement dit, une race d’hommes nouveaux pour édifier une Mauritanie nouvelle. Une race d’hommes qui donnera à chacun son dû et dont le souci majeur sera d’établir une justice sociale et d’imposer le respect pour la chose publique. Une race d’hommes qui, surtout, ne fera pas son chemin avec la tribu dans la poche. Telle devrait être la philosophie de la majorité comme celle de l’opposition. Il est vrai que nous n’avons pas un passé culturel dans ce domaine mais il suffit de le vouloir et tout devient possible. Ces hommes-là, c’est à vous, électeurs, de les trouver, loin de tous ces saltimbanques et bonimenteurs qui sont légion dans le pays.
Car le pays a besoin d’un changement réel, il a trop souffert dans son passé. Nos chefs nous ont mithridatisé, en nous atomisant, contre tous le maux. Ceci est un mérite à mettre à leur actif. Il est temps que chacun de nous œuvre pour la construction de ce pays, loin de toute passion et tout esprit clanique. Il faut que la majorité et l’opposition oublient le règlement de compte et cessent cette algarade à laquelle nous assistons aujourd’hui. Chacun doit s’oublier, ne serait-ce que qu’un tout petit peu, pour penser à la Mauritanie. La Mauritanie ne peut se faire qu’avec la participation des forces vives de toutes ses composantes. Cette participation est un devoir de tous. L’opposition, comme la majorité doit se mettre dans la tête, une fois pour toutes que l’on peut perdre des élections ; mais que l’on a pas le droit de perdre la démocratie. Encore moins la Mauritanie. Il est grand temps, pour ceux qui ont été aux commandes de ce pays de céder la place à d’autres.
Méditons ce que disait Soljenitsyne: «La croyance en l’immortalité est née de l’avidité de gens insatiables qui gaspillent sottement le temps que la nature nous a octroyé. Le sage trouve toujours ce temps suffisant pour faire le tour des jouissances accessibles et, quand vient l’heure, il quitte, rassasié, le festin cédant la place à d’autres convives. Pour le sage, il ’suffit d’une vie humaine, l’imbécile emploierait mal l’éternité même. »
Alors, mesdames et messieurs, faites vos jeux.
AHMED SALEM BEN MOHAMEDOU
(dit Ould Sbaî Dr. ès sociologie)