Titulaire d’un Master en Psychologie, Mme Daphnée Maret a étudié en Suisse puis travaillé comme chercheuse-doctorante à l’Université de Lausanne dans l’Institut de Police Scientifique et de Criminologie. En parallèle, elle a travaillé dans l’équipe éducative d’un lieu de détention pour adolescents.
Après 6 années en tant que travailleuse sociale en Suisse, elle a rejoint le CICR en 2007. Elle a effectué de nombreuses missions à l’étranger (Côte d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Philippines, frontière tuniso-libyenne, Yémen, Syrie, Afghanistan) et occupé un poste au siège du CICR à Genève en tant que Coordinatrice des Opérations pour l’Asie du Sud (Afghanistan, Pakistan, Inde, Népal, Maldives, Bhoutan).
Depuis novembre 2019, elle est Cheffe de Délégation du CICR à Nouakchott en Mauritanie.
Cridem : En écho à la lutte contre la pandémie engagée par le Gouvernement mauritanien, qu’apporte le CICR ?
Daphnée Maret : Tout d’abord je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de parler de notre organisation. Le CICR a plus de 150 ans et il est présent dans plus de 85 pays. En Mauritanie, le CICR a eu des activités depuis 1970, et une présence permanente depuis 2005.
Ici le CICR visite les personnes détenues afin de garantir qu’ils soient traités avec humanité et collabore avec les autorités pour prévenir les abus et améliorer les conditions de détention.
Dans l’est du pays, il soutient les populations résidentes et réfugiées dans leurs besoins essentiels, tels que l’accès à l’eau et aux services vétérinaires parfois essentiels à la survie de leurs troupeaux de bétail.
En coopération avec le Croissant-Rouge Mauritanien (CRM), dont il soutient la préparation aux urgences, le CICR offre des services pour le rétablissement des liens familiaux entre proches déplacés par les conflits. Le CICR promeut également le respect du droit international humanitaire auprès des autorités et des porteurs d’armes.
Depuis le début de cette pandémie, notre organisation a agi pour la mise en place d’une véritable stratégie avec un double volet : la protection de son personnel contre cette maladie et la continuation de ses activités avec un gros effort dans la lutte contre le COVID-19. Cette nouvelle composante absorbe déjà plusieurs centaines de milliers d’euros et pourrait être revu à la hausse si la situation l’exigeait. Toutes nos activités viennent en soutien au plan de riposte national mis en place par le Gouvernement mauritanien.
Cridem : En cette période de lutte contre le coronavirus dans le pays où des mesures drastiques sont prises pour l’endiguer, est-ce que vous redoutez des inquiétudes et si oui, elles se situeraient à quel niveau ?
Réponse : Les autorités mauritaniennes se sont très tôt engagées dans la lutte contre cette pandémie en prenant une batterie de mesures de nature à freiner la propagation du coronavirus (fermeture des frontières terrestres, des aéroports, couvre-feu, interdiction des rassemblements...etc.).
Le CICR dans ce cadre a pris des mesures idoines face à ce virus. Nous avons suspendu tous les voyages non essentiels. Le personnel de la Délégation de Nouakchott travaille à domicile tout comme celui de notre Sous-Délégation à Bassikounou, conformément aux recommandations des autorités mauritaniennes.
Pour le reste de l’Afrique, les dizaines de millions de personnes déplacées qui s'entassent dans des camps et des campements sauvages et n'ont qu'un accès limité aux soins médicaux, à l'eau potable et aux installations sanitaires, sont particulièrement vulnérables au COVID-19. Elles ne peuvent pas pratiquer la distanciation sociale. En même temps, si le virus se propage dans des zones de combat, les cas seront plus difficiles à détecter.
Nous sommes déterminés à ne négliger personne face à cette pandémie de COVID-19. Alors que nous nous efforçons de contenir la propagation du COVID-19 dans les communautés, nous ne devons pas non plus oublier les populations carcérales, les personnes déplacées. De nombreux centres de détention en Afrique sont particulièrement surpeuplés, rendant impossible toute distanciation sociale et créant un environnement propice à la propagation rapide du COVID-19 faute de mesures pour prévenir l’infection.
Nous travaillons dans toute la région pour mettre en place des mesures visant à prévenir la propagation de la maladie à l’intérieur des lieux de détention et à détecter les cas le plus tôt possible. Les visites familiales étant également suspendues, il sera extrêmement important d’utiliser d’autres moyens de communication, comme les lettres ou les appels téléphoniques, afin que les membres des familles puissent rester en contact les uns avec les autres. De nombreux détenus dépendent également de leur famille pour la nourriture, les médicaments, les vêtements et autres articles.
Cridem : En Afrique subsaharienne, l’apparition de la pandémie a compliqué l’aide humanitaire et le travail des ONG qui soutiennent des populations déjà très vulnérables. Est-ce que c’est le cas en Mauritanie, principalement à Mberra, dans l’Est du pays, sur la frontière avec le Mali ?
Réponse : Vous avez parfaitement raison de souligner que l’acheminement de l’aide humanitaire se heurte aux restrictions de voyages consécutives à l’avènement de cette pandémie Heureusement, le CICR est habitué à s’adapter rapidement à ce genre de situation, et toutes les mesures sont prises pour maîtriser au mieux les éventuels retards ou complications dans le chaîne d’approvisionnement. De plus, les autorités mauritaniennes ont mis en place un système de permission permettant à l’assistance humanitaire d’être acheminée, notamment à l’est du pays. Aussi, nous avons pris attache avec la DAPAP (Direction de l’Administration Pénitentiaire et des Affaires Pénales, relevant du Ministère de la Justice) pour qu’elle puisse nous seconder dans l’acheminement d’une assistance dans les prisons de Rosso et Nouadhibou (Sud et nord du pays).
Cridem : Est-ce qu’on peut s’attendre dans les prochains jours à ce que le CICR lance une campagne sur le Covid19 en Mauritanie et comment cette action va-t-elle se traduire sur le terrain ?
Réponse : Comme nous l’avons déjà souligné, le CICR a rapidement mobilisé un demi-million d’euros (soit environ 200 millions d’anciennes ouguiyas) pour la campagne de prévention et préparation au COVID19 en Mauritanie. Ces activités ont débuté il y a déjà plusieurs semaines. Cette nouvelle donne de la pandémie a été intégrée aux programmes en cours, qui en eux-mêmes étaient déjà une aide pour les communautés à y répondre, notamment dans le renforcement de l’accès à l’eau et à l’hygiène dans la région de Bassikounou et dans les lieux de détention.
Imaginez les effets dévastateurs qu’un tel virus pourrait avoir en prison. Ainsi nous avons très tôt mené des activités de sensibilisation dans les quatre prisons de Nouakchott et celle de la ville d’Aleg. Nous continuerons dans le reste du pays. Cette campagne vise les responsables administratifs et sécuritaires des dites prisons et elle est accompagnée par la distribution de matériel d’hygiène. En plus de nos activités habituelles de distribution de médicaments et de soutien à la nutrition, nous renforçons l’accès à l’eau en prison. Nous réfléchissons aussi avec les autorités à l’aménagement des lieux (isolation), au contrôle des visites et des nouveaux arrivés. Il est aussi important que le Gouvernement réfléchisse au décongestionnement de lieux de détention, et ceci est en cours.
Concernant les populations de la Moukhataa de Bassikounou, notre action se situe à deux niveaux : les volets ruraux et urbains. Nous sommes en train d’accélérer nos actions pour le renforcement du dispositif d’accès à l’eau potable en ville de Bassikounou notamment par la construction d’un nouveau sondage pour renforcer le dispositif existant en milieu rural, notre priorité reste également l’accès à l’eau pour les populations vulnérables et leur bétail. Depuis le 26 mars dernier, nous avons entamé une campagne de sensibilisation sur les gestes de barrière auprès de près de 2700ménages issus de 22 villages de la Moukhataa de Bassikounou. Plus de 8000 kits d’hygiène ont été distribués à ces populations. Ces activités vont continuer tout au long de l’année.
Cridem : Evoquons un peu le cas des détenus dans les prisons. La Haut-commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU a appelé à la libération de détenus à travers le monde et beaucoup de pays ont réagi pour lutter contre le coronavirus ? Mais pour l’instant, il n'y a pas de réaction du côté de Nouakchott. Qu'en pensez-vous ?
Réponse : Comme dans d’autres pays, nous avons saisi le Ministre mauritanien de la Justice afin d’agir dans le sens d’une diminution de la pression du nombre important de détenus dans les prisons. Cette action de plaidoyer vise à désengorger les prisons par des mesures de libération de détenus vulnérables ou en fin de peine et par l’application de mesures alternatives à la détention, et ceci dans un but strictement humanitaire. A l’instar d’autres pays, nous avons déjà pu constater que des mesures ont été prises dans ce sens en Mauritanie.
Propos recueillis par
Babacar BAYE NDIAYE, pour Cridem