Qui est le nouveau Chef des armées ? Entretien bonus avec Brahim Bakar Sneiba, ancien commandant de l’armée

dim, 14/06/2020 - 20:27

 Qui est le nouveau Chef des armées ? Entretien bonus avec Brahim Bakar Sneiba, ancien commandant de l’armée

De l’extérieur, c’est un militaire peu bavard, dont on entend la voix que lors des cérémonies officielles.

Pourtant, c’est un homme clé du sérail qui a joué de grands rôles au sein de l’armée mauritanienne et dans la marche politique du pays. Il s’appelle Mohamed Ould Bamba Ould Meguett, général et chef d’Etat-major des armées. Le 8 Juin 2020, le président Ghazouani l’a catapulté à ce poste, devenant ainsi le visage du haut commandement militaire. PORTRAIT.

Entre Ghazouani et Meguett, que de similitude dans les parcours. A eux deux, ils ont participé à deux coups d’Etat.

Comme l’actuel Chef de l’Etat, il faisait partie des 17 officiers qui ont composé le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie +CMJD+ dirigé par feu Ely Ould Mohamed Vall et installé au lendemain du coup d’Etat contre le président Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya, après 21 ans de pouvoir sans partage.

Comme l’actuel Chef de l’Etat, il était également membre du Haut Conseil d’Etat +HCE+ présidé par Mohamed Ould Abdel Aziz. Comme Ghazouani, il devient le patron des armées. Et qui sait, peut-être, que le destin lui a taillé un costume de président de la République…comme l’actuel président de la République de Mauritanie.

|||Un pilier de tous les régimes

De Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya à Mohamed Ould Abdel Aziz, le général Meguett a toujours été un pilier de ces régimes.

« Meguett est un homme très sage, jamais, il ne fera de mal à quelqu’un et il a toujours été un officier républicain qui travaille, c’est tout. Il ne travaille pas pour une personne. Il travaille pour l’Etat. Quand tu travailles pour l’Etat, tu es toujours sur les rangs. Meguett est d’abord bien apprécié de la population, bien apprécié chez lui et que son ambition, ce n’est pas de détruire», explique à CRIDEM le capitaine Ely Krombelé, auteur de nombreux articles sur l’armée mauritanienne et qui connait le général Meguett depuis les années 90.

« Avec l'arrivée de Meguett, officier le plus ancien dans le grade le plus élevé actuellement et son adjoint le général Moktar ould Bolle à l’Etat-major général des armées, on peut espérer. D'abord, les deux ne sont pas portés sur l'argent. Meguett est sage, inspire la confiance. Moktar est compétent dans le domaine militaire surtout au plan opérationnel autrement dit la gestion des unités sur le terrain. C’est un mouvement qui est apprécié de la majorité des militaires », poursuit Ely Krombelé.

Avant de devenir le super puissant directeur général de la sûreté nationale, ce militaire haut comme trois pommes s’est illustré d’abord à la Direction des Transmissions au sein de l’armée mauritanienne…Parmi les postes qu’il a occupés, on peut citer : celui de commandant de la 2e région militaire, d’inspecteur des forces armées et de sécurité, de directeur général de la sureté d’Etat.

L’actuel patron de l’armée mauritanienne est issu de la première promotion de l’EMIA (1975-1976). Il sera nommé sous-lieutenant d’active en 1979. Depuis, son nom brille de mille feux et sera largement distingué parmi les illustres militaires mauritaniens.

|||Mateur de militants

Derrière l’image d’Epinal de sage que lui témoignent ceux qui le connaissent, celle de mateur de manifestants par contre revient sans cesse dans la bouche de militants des droits de l’Homme. Militaire de carrière, Meguett a été pendant 6 ans, de 2014 à 2020, chef redoutable de la police mauritanienne.

De son passage à la tête de la police, des militants des droits de l’Homme nous racontent ne retenir que violence, répression et torture systématique…

D’ailleurs, dans de nombreux rapports établis par des organisations internationales comme Human Rights Watch (HRW), la police mauritanienne à l’époque, est indexée pour ses nombreuses atteintes graves aux droits de l’Homme.

«C’est sous son règne que les manifestations de IRA ont été réprimées dans le sang. C’est lui qui a inventé qu’il faut même battre publiquement les militantes des droits de l’Homme pour servir d’exemple, notamment mes proches. C’est lui qui a utilisé systématiquement la torture contre les militants d’IRA pour extorquer des aveux. Beaucoup d’entre eux portent toujours les séquelles de ces tortures. C’est lui qui a géré la répression contre IRA, créé les dissidences au sein de l’IRA. Tous ceux qui ont quitté IRA et commencé à me dénigrer, ils étaient sous sa direction», explique à CRIDEM le président de l’organisation abolitionniste, IRA-Mauritanie, Biram DAH ABEID, par ailleurs, député à l’Assemblée nationale mauritanienne.

Sous sa direction, la police mauritanienne fera beaucoup parler d’elle : refoulement d’une mission d’Amnesty international à l’aéroport international Oum Tounsi de Nouakchott, journalistes et opposants arrêtés, expulsion de militants anti-esclavagistes américains et de journalistes français. A ce tableau, il faut ajouter le bruyant et mémorable refoulement du célèbre islamologue suisse Tariq Ramadan.

Autre affaire qui a défrayé la chronique sous son magistère : les interpellations de journalistes, de syndicalistes et d’hommes politiques soupçonnés d’entretenir des relations avec l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou.

Meguett a bien marqué aux fers rouges son passage à la tête de la police, tout en échouant de défaire cette image de « police politique » qu’on colle à la peau la police mauritanienne, autant décriée pour ses pratiques répressives. Sur ce point, Ould Meguett n’a pas été un grand réformateur, même si on lui prête un bilan positif notamment en ce qui concerne la sécurisation des frontières et la professionnalisation des effectifs.

Juste avant son départ, il a arraché haut la main l’alignement de l'âge de la retraite des membres de la police sur celui des autres corps militaire et de sécurité (armée, gendarmerie, garde nationale) dont les membres ont bénéficié d’une augmentation de deux ans de service.

Aujourd’hui, le général Meguett rebondit à l’Etat-major des armées pour continuer à écrire son énorme et impressionnant parcours, néanmoins entaché de graves accusations d’implication dans des exécutions extrajudiciaires de plus de 500 militaires négro-mauritaniens dans les années 90….

Par Babacar BAYE NDIAYE, pour Cridem

----Entretien avec Brahim Ould Bakar Ould Sneiba, auteur du livre « La Mauritanie : entre les Chars et les Urnes, 1978-2008 »

Ancien commandant de l’Armée et journaliste, Brahim Ould Bakar Ould Sneiba est l’auteur d’un livre sur l’armée mauritanienne intitulé « La Mauritanie : entre les Chars et les Urnes, 1978-2008 » publié en 2012 aux Editions Maarif. il est également l’auteur d’un roman qui porte le titre de « Soufi: le mystique qui faisait peur ». Dans cet entretien exclusif, Brahim Ould Bakar Ould Sneiba analyse pour Cridem les importantes nominations au sein de l’armée procédées le 8 Juin 2020 par le président Ghazouani.

Dans un article sur les dernières nominations au sein de l’armée mauritanienne, Jeune Afrique fait le titre suivant, je cite : « Ghazouani reprend la main sur l’armée ». Est-ce que vous avez la même impression ?

Cela ne doit pas surprendre. Comment ne pas tenir en main l’Armée, l’institution régalienne par excellence, l’outil de la défense et de la sécurité de tout état qui se veut détenteur de la violence légitime indispensable. Tout homme qui dirige, commence par sécuriser et stabiliser son entourage. Prendre son armée en main, est d’autant plus légitime que c’est vital. Tout chef a « ses » hommes de confiance, une confiance obligatoirement basée sur des critères de choix, alliant l’objectif au subjectif, pourvu qu’il ressente la sérénité nécessaire pour mener à bien les projets qui sous-tendent son ambition.

Quels seraient les mobiles d’un tel mouvement ?

Il n’ ya pas d’acte gratuit dans la vie. Si une responsable de ménage déplaçait son frigo, il y a une raison à cela. Comme vous l’avez certainement ouï-dire, ce remaniement n’est pas consécutif à un bruit de bottes et, remarquez qu’il se déroule à une année de la prise du pouvoir par Mohamed Cheikh Ghazouani, qui n’était pas apparemment stressé outre mesure par la situation de la nomenclature dans la grande muette.

Est-ce qu’il est désormais le véritable chef….

Qui d’autre serait le chef ? Depuis le 22 aout légalement et légitimement le Président de la République Islamique de Mauritanie, à l’issue d’un scrutin serein et transparent. Depuis la nuit des temps, jamais deux prêtres ne se sont partagé une mitre ou un sceptre ; jamais deux chevaliers n’ont manipulé un seul sabre. Les Beni Hassanes disent que le Pouvoir est la poignée d’un sabre, qui en a toujours qu’une seule et unique exclue du partage. Mohamed Cheikh Ghazouini détient les attributs du pouvoir et il saura les employer efficacement, ayant toutes les qualités dues à un chef. Sans doute.

Ces importantes nominations ont touché tous les états-majors, sauf celui de la gendarmerie nationale. Quelle explication pouvez-vous donner à ce fait un peu particulier ?

Mais on n’est pas toujours obligé de faire tout bougé. C’est peut être un bon signe prouvant que le Commandant suprême des Forces armées, a opéré ce mouvement pour une meilleure efficacité et non pour s’adonner à un jeu d’échec puéril. D’ailleurs il ne serait pas sympathique de muter un collaborateur convalescent et en dernière ligne droite pour une retraite clôturant une très brillante carrière.

Finalement, le président Ghazouani a nommé Ould Meguet comme le nouveau patron des armées. Qu’est-ce qui a véritablement pesé sur la balance pour que ce dernier se voie confier cette fonction ?

On semble oublier que les nominations dans l’Armée sont essentiellement guidées par le sacro-saint critère de l’ancienneté. Je crois savoir que Ould Meguett est le général le plus ancien au grade le plus élevé. Donc c’est légal et légitime. Mais il faut ajouter que ce général qui ne se pique pas d’intellectualisme est un homme discipliné, intelligent qui a rendu, pendant près de quarante ans, de bons et loyaux services, qui méritent d’être couronnés par une récompense. De toute façon, pour parler littéralement de poids, l’homme est aimé et respecté dans presque tous les milieux.

Pourquoi le Géneral Mesgharou à la Police ?

Vous feriez mieux de poser la question au Président Ghazouani. Au demeurant, rien d’extraordinaire à mon sens. S’il ya un soldat qui allie intelligence, culture générale et proximité de ses subordonnés, c’est bien lui. Ceci lui permettra, sans nul de doute, d’améliorer les performances de la Police et lui faire mener sa mission centrale dans l’appareil étatique. On dit que la police est une patate chaude ; personnellement, ce n’est pas mon avis ; la Police mauritanienne s’est toujours distinguée par sa loyauté et son efficacité, contribuant à la sureté et à la préservation de l’unité nationale.

Autre fait non des moindres lors de ces nominations, c’est le recalage de Mohamed Cheikh Ould Mohamed Lemine, au poste de chef d’état-major de la Garde nationale. Qu’est-ce qu’il faut comprendre par-là ?

Ce n’est pas un recalage. Dans l’armée, il n’ ya pas un poste détenu par un locataire pour un bail perpétuel. Les hommes sont affectés aux emplois suivant la situation. On se rappelle que le Général Negri est passé de l’EMGA à la Garde, sans coup férir. Le Général M. Cheikh a couronné une excellente carrière par le plus grand poste de l’Armée. Je suis sûr qu’il ne se plaint pas là où il est. La différence entre l’Armée nationale et la Garde est tout simplement une question de volume, sinon la garde est un corps ancré dans l’histoire du pays et faisant preuve d’efficacité et de loyalisme sans pareil. En plus, le poste de CEMGA est un poste aussi compliqué et difficile qu’on ne peut y rester plus de deux ans. Regarder la France et les autres armées.

Propos recueillis par Babacar BAYE NDIAYE, pour Cridem