Mohamed Yeslem Yarba BEIHATT - Qu’il me soit ici permis, question de faire vite, de partir des évidences suivantes, qui sont à mon avis, les trivialités des trivialités primaires :
1. Jamais l’ingérence militaire n’a résolu un conflit international. Ni servi à pacifier une région, ni territoire.
2. Tout État souverain est sensé préserver et assurer la défense de son territoire, son peuple et son indépendance. Il n’y a aucun autre État qui pourra le faire à sa place.
3. Tout le monde est aujourd’hui unanime pour combattre les bandes de "Voyous-narco-trafiquants-terroristes-barbares" qui sont à éradiquer, là où ils se trouvent.
4. L’Islam, grande religion monothéiste, à civilisation millénaire, est une religion de paix, de tolérance et d’amour, sacralisant la vie humaine. L’Islam n’a rien à voir avec le terrorisme. Ceci dit j’en viens à l’objet de mon propos, à l’occasion de ce Sommet qui se tient aujourd’hui, le 30 juin 2020, et qui n’est autre qu’un ‘’Sommet français tenu à Nouakchott’’ de la part de la ‘’Coalition pour le Sahel’’ qui vient prendre lieu et place de ce qui fut un jour, le beau rêve d’un puissant G5 Sahel ; idée d’un projet africain, assommé au ‘’Forum de Dakar’’ du 18/11/2019 et ‘’enterré’’ à Pau le 13/01/2020.
Et pour saisir tout cela, rafraîchissons un peu les mémoires, pour pouvoir y voir plus clair, à l’aide d’un bref rappel chronologique :
-Le G5 Sahel, initiative mauritanienne, celle précisément de son ex-président M. Mohamed Ould Abdel Aziz ; est créé le 16 février 2014 à Nouakchott. Il regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.
-Sa « force régionale contre le terrorisme » est lancée le 2 juillet 2017 à Bamako, en présence du Président français Emmanuel MACRON (en ce moment ‘’invité’’).
-Le mardi 09 Juillet 2019, au terme d’une année académique de 8 mois, 36 officiers brevetés des pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) ont achevé leur formation, au collège de défense du G5 Sahel situé à Nouakchott.
Et toujours pour être concis le plus possible, le sujet étant foisonnant, je me contenterai de l’évoquer à travers les points suivants :
1. Fini le temps où la Mauritanie invitait, la France invite à Nouakchott.
C’est pour le moins l’impression que nous pouvons avoir, un an après le départ de l’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. Pour la dernière fois en effet que ce dernier avait présidé le sommet de cette création ‘’proprement azizéenne’’, le Président Français n’était même pas invité. Car le Président ‘’effectivement’’ en exercice du G5, en ce temps, pouvait en décider ainsi.
Aujourd’hui, c’est le Président Français, Emmanuel Macron qui invite. Pour le faire, il se rend à Nouakchott pour y ‘’inviter’’ les Présidents des pays membres du G5 sahel, cette fois-ci, au nom de la République Française qui, suite au Sommet de Pau, est devenue la seule aux commandes du G5 Sahel. Et il le fait, en respect stricte du ‘’moment’’ et du ‘’lieu’’, par lui décrétés et ‘’dictés’’ à Pau, le 13 janvier 2020.
2. Une initiative sahélienne (mauritanienne) détournée.
Pour ce point je me contenterai de reprendre ce que les spécialistes ont pu écrire à ce propos. En effet, sous le titre : Le G5 Sahel : une avancée de la coopération régionale pour la paix et la sécurité ? Sergei BOEKE et Grégory CHAUZAL, dans le volume AFRI, Volume XVIII, 2017 ; ont écrit : « Une initiative mauritanienne »
« Créé à l’initiative de Mohamed Ould Abdel Aziz, le Président de la République islamique de Mauritanie, à l’occasion de son élection à la présidence tournante de l’Union africaine le 30 janvier 2014, le G5 Sahel répond à plusieurs ambitions.
Au plan régional, la création d’une nouvelle structure interétatique a principalement permis aux pays d’Afrique subsaharienne impactés par les questions de terrorisme de prendre en main leur propre sécurité et de ne plus dépendre désormais de structures insuffisamment inclusives telles que la CEDEAO – dont ni la Mauritanie ni le Tchad ne sont membres –, ou jugées inopérantes.
En « ligne de mire » des cinq pays, le Comité d’état-major conjoint (CEMOC) ainsi que l’Unité de fusion de renseignement (UFL), tous deux créés à l’instigation du gouvernement algérien en 2010. Réunissant, sur le papier du moins, le Mali, le Niger, la Mauritanie et l’Algérie, ces formations s’étaient initialement donné pour ambition de mettre en commun les renseignements nationaux afin de « mener des opérations de localisation et de destruction des groupes terroristes ».
Dans les faits, le CEMOC ne s’est réuni qu’en de très rares occasions et aucune fois à partir de janvier 2012, lors du déclenchement de la quatrième rébellion au Nord Mali et du début de l’occupation des grandes villes du Septentrion par Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine et le Mouvement unicité et jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Très tôt, le CEMOC et l’UFL ont pu être considérés comme une façon pour l’Algérie de garder le contrôle d’une région jugée hautement stratégique pour ses intérêts sécuritaires et économiques. La bienveillante proximité de Nouakchott avec Rabat a également pu jouer un rôle dans la création du G5 par Aziz.
En lutte pour le leadership régional depuis la chute du Libyen Mouammar Kadhafi, Rabat et Alger ont chacun essayé de jouer leur partition dans le conflit du Nord Mali, proposant leurs bons offices et tâchant chacun de profiter des faiblesses de l’autre pour s’imposer.
Au-delà pourtant de servir les intérêts apparents de son supposé allié marocain, la création du G5 a également visé, pour le Président mauritanien, à placer les autres pays du Sahel face à leurs responsabilités.
Longtemps tendues, principalement en raison de l’inaction supposée du pouvoir malien à l’égard des groupes armés opérant à proximité de la forêt de Ouadagou, les relations entre les deux pays se sont pacifiées avec l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta.
Pour le président Aziz, le G5 a ainsi pu permettre de prévenir le retour des anciens problèmes en refusant l’enfermement bilatéral et en solidarisant l’ensemble des pays du Sahel à ses problèmes de sécurité.
Chaque pays pouvant déterminer l’agenda des rencontres, le G5 devient également un outil diplomatique entre les mains de ses membres, la crainte du « naming and shaming » pouvant encourager l’efficacité globale.
Enfin, pour le Président mauritanien, initier la mise en place d’un nouvel outil collectif de sécurité permettait aussi de prendre un rôle de premier plan dans la lutte contre l’insécurité et le terrorisme au Sahel.
Déjà en pointe sur ces questions, Nouakchott apparaît depuis plusieurs années comme un « bon élève » des pays occidentaux, France et États-Unis en tête. En soignant cette image auprès des deux « grands », Aziz pouvait aussi espérer forcer la tolérance de ses alliés sur la situation intérieure du pays.
Contesté au plan interne, le régime multiplie en effet depuis plusieurs années les restrictions aux libertés et les mesures de répression (contre l’opposition politique, les mouvements anti-esclavagistes, la presse, etc.).
Compte tenu de la recherche par Washington et Paris d’alliés sécuritaires dans la région, le choix mauritanien d’activer la mise en place d’une structure réduite consacrée – dans un premier temps – aux questions de défense est apparue comme une initiative salutaire.
Échaudés par l’inefficacité – ancienne – de la force africaine en attente, pourtant soutenue depuis des années par les pays du Nord, et par la réticence des chefs d’État de la CEDEAO à s’engager activement et collectivement dans la résolution de la crise, Europe et États-Unis ont unanimement salué l’initiative G5.
La participation, dès les premières réunions du G5, de hauts responsables occidentaux, tels le chef d’état-major des armées ou le ministre de l’Intérieur français, est la preuve du souhait des pays du Sahel de renforcer leur coopération avec les puissances internationales.
L’établissement d’un « Partenariat élargi » avec Barkhane, l’opération militaire française dans la bande sahélo-saharienne, en est aussi une illustration. (…) À sa jeunesse et à l’effet de nouveauté qui ont indéniablement encouragé la perception positive ayant accompagné la naissance du G5 Sahel, succèdent aujourd’hui les interrogations sur la capacité de cette structure à agir efficacement dans la durée et à résister aux sollicitations et futures déstabilisations éventuelles d’autres pays du champ actifs sur les mêmes questions ».
https://www.afri-ct.org/article/le-g5-sahel-une-avancee-de-la-cooperatio...
3. Une nouvelle création appelée ‘’Coalition pour le Sahel’’ prendra lieu et place du G5 Sahel.
À mon humble avis, la faute, ou l’on peut dire, en quelque sorte, le ‘’péché’’ véniel’’ de cette entité naissante, a été le fait d’accepter ’’ la participation, dès ses premières réunions, de hauts responsables occidentaux, tels le chef d’état-major des armées ou le ministre de l’Intérieur français.
Preuve du souhait des pays du Sahel de renforcer leur coopération avec les puissances internationales’’. Et ensuite, un autre péché a été commis, celui de ‘’l’établissement d’un « Partenariat élargi » avec Barkhane, l’opération militaire française dans la bande sahélo-saharienne.’’
Mais ces pauvres pays, pouvaient-ils ne pas montrer ‘’patte blanche’’ à la ‘’toute puissante’’, ‘’omniprésente’’ ex-force coloniale ? Sans doute que non.
Cependant, rien que par bon sens, le choix de garder une distance, garder la capacité ‘’d’auto-agir’’, de ‘’s’auto-organiser’’ pouvait, sans entacher un partenariat constructif avec la France et tous les pays de l’OTAN d’ailleurs ; être plus bénéfique au G5 Sahel, pour ne pas en arriver au risque grandissant de voir la ‘’Coalition pour le Sahel’’ en prendre, tout simplement, lieu et place.
Et au fait, qu’est-ce que cette ‘’Coalition pour le Sahel’’ si ce n’est une manière de la part de la France de dire : c’est à moi que revient le contrôle de ‘’toute main qui passe et repasse’’ au Sahel.
Et vous autres, ‘’États du Sahel’’, pas plus que des Républiques bananières, vous ne pouvez pas et vous ne devez pas assurer votre sécurité. C’est à peu près ce que le Président Français a dit, lors du ‘’Sommet-convocation-savonnage’’ de Pau.
Preuve ? Vous voici un extrait du discours de M. Macron à Pau le 13 Janvier, 2020 : « Cette coalition internationale, évidemment, regroupe aussi bien la France, les pays du G5 ; nous avons l'Union africaine, l'Europe et tout autre partenaire qui veut participer à cette coalition internationale Sahel que nous avons décidé de mettre en place. » Sic.
Vous voici un autre extrait du même discours « (…) Pour atteindre cet objectif nous changeons la méthode en mettant en place une coalition militaire avec un commandement conjoint entre la force Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel, en concentrant nos efforts sur cette zone et donc en intégrant nos forces de renseignement, nos forces militaires sur cette zone avec une latitude d'engagement beaucoup plus forte. » Sic.
4. La France ne cessera de presser pour que le Sénégal devienne membre du G5 Sahel.
La problématique de l’absence du Sénégal du G5 Sahel a évoqué plus d’un débat et a fait couler beaucoup d’encre. Pourtant elle s’explique facilement. À la naissance du G5 Sahel, et pour répondre à une logique d’équilibre régional, le Sénégal ne pouvait ‘’pratiquement’’ pas faire partie de cette nouvelle coalition contre le terrorisme.
L’Algérie, qui n’avait pas accepté une création purement ‘’française’’, ne pouvait pas non plus accepter la présence d’un pays qui reconnaît ‘’officiellement’’ la marocanité du Sahara. Voilà tout. Ce n’était pas parce que le Sénégal ne soit pas le bienvenu, ou que sa présence n’est pas souhaitée.
D’ailleurs, il sera tenu au courant de tout ce qui se passe au sein de ce groupe. Mais pour que le groupe même puisse voir le jour, il fallait faire preuve de beaucoup de délicatesse de la part de la Mauritanie, pays ‘’neutre’’ par rapport au conflit opposant les deux ‘’puissants’’ du Maghreb, l’Algérie et le Maroc, pour ne pas les nommer. Alors, il fallait faire comprendre au pays frère et ami, qu’est le Sénégal, qu’il doit accepter de rester ‘’hors’’ du G5 Sahel.
Néanmoins, nous voyons déjà cet équilibre, ou plutôt ce ‘’tact’’ politique et sécuritaire régional, entièrement chambardé, du fait de la pression de la France, en faveur de la présence du Sénégal au sein du G5 Sahel, qui n’est plus, à mon sens qu’une question de temps.
5. La Mauritanie, membre fondateur du G5 Sahel, à identité arabe méconnue.
Sans nul doute que personne ne peut prétendre voir aujourd’hui l’ombre d’une quelconque appartenance au monde arabe, de notre pays, chez qui pourtant ce sommet du 30 juin 2020 est tenu. À part le nom, écrit en arabe, sur la plaque du Collège de défense du G5 Sahel, que la Mauritanie a pu construire à Nouakchott, grâce à un financement d’un pays arabe, nous ne retrouvons aucune trace de l’arabité, ni de ‘’l’identité arabe’’ de notre pays, dans tout ce que fait le G5 Sahel comme travail.
Et pour ceux qui ne le savent pas encore, la France avait refusé de financer la construction de ce Collège de défense, la conditionnant à l’usage exclusif de la langue française. Nous savons tous que l’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a pu trouver le financement nécessaire auprès des Émirats Arabes Unis.
Et l’on voit clairement que ce Collège de défense, à côté du Siège du G5 Sahel à Nouakchott, restent pour le moment, en tous cas, les ‘’réalisations’’ les plus palpables. Les promesses ‘’creuses’’ des donateurs Occidentaux se faisant encore attendre.
Donc n’attendons pas monts et merveilles de ce sommet. Notre pays se verra contraint à revenir sur un principe très sage, celui de ne pas envoyer ses troupes faire la guerre, hors de ses frontières, sous n’importe que prétexte. Notre pays a déjà fait preuve de grande efficacité dans sa stratégie de lutte –pluridimensionnelle- contre les terroristes. Nous n’avons pas de leçons à recevoir à ce sujet.
Et si M. Emmanuel Macron tient à ‘’enterrer’’ notre beau rêve d’un G5 Sahel ‘’puissant’’ et ‘’autonome’’, à Nouakchott même, là où il s’est vu naître ; nous ne pouvons l’en empêcher. Les conséquences se feront pourtant ressentir, jusqu’ à toute l’Europe et bien au-delà. Rien que par les vagues affligeantes de jeunes africains, qui viennent échouer sur les côtes Européennes, par milliers. Car, à elle seule, la France ne pourra jamais faire le Gendarme du sahel.
Du reste, le Sahel n’a pas besoin d’une présence militaire. Nos pays ont besoin de tableaux noirs, d’écoles, de livres, de cahiers, d’enseignants, de routes, d’eau potable, d’électricité, de dispensaires, d’hôpitaux, d’habitats salubres, de développement de progrès et de prospérité.
Si cet Occident obnubilé par le ‘’produire pour consommer’’ et ‘’consommer pour produire’’, -y compris et surtout produire des ‘’armes’’-, accepte enfin de cesser son aveuglement, et décide un partage plus équitable des richesses de la terre ; l’Afrique, le Sahel, notre pays, la Mauritanie ; n’en seront que soulagés. Le reste n’est que du ‘’bobard’’ et du ‘’baroud’’ !!!
Nouakchott le, 30/06/2020
Par Mohamed Yeslem Yarba BEIHATT