Le Temps - Solennel, Ibrahim Boubacar Keïta, 75 ans, dont les sept derniers passés à la tête du Mali, est apparu samedi soir à la télévision pour tenter de calmer le jeu.
Le président s’est «incliné» devant la mémoire des personnes tuées en marge d’une manifestation réclamant son départ. Le chef d’Etat a annoncé la dissolution de la Cour constitutionnelle, qui avait validé des résultats controversés en faveur du parti au pouvoir dans certaines circonscriptions lors des législatives du printemps organisées malgré la pandémie de Covid-19.
Cette décision avait servi de détonateur aux manifestations, qui ont, pour la première fois, dégénéré ce week-end. Mais la concession du président, qui ouvre la voie à de nouvelles élections partielles, paraît bien insuffisante.
Le mouvement du 5 juin, une coalition hétéroclite de formations politiques, de militants contre la corruption ou de figures religieuses, risque de se radicaliser sous l’effet de la répression.
Un pouvoir contesté
Dans la journée, des tirs avaient encore été entendus dans la capitale Bamako, après un week-end quasi insurrectionnel. Les forces de l’ordre avaient tiré à balles réelles après un nouveau rassemblement vendredi contre Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK. Au moins 11 personnes ont été tuées et les leaders du mouvement du 5 juin, date de la première manifestation de l’opposition, ont été arrêtés, accusés d’avoir attisé les affrontements. Ils ont été libérés lundi soir.
Ce n’est pas la première fois qu’IBK, élu triomphalement en 2013 après l’intervention française qui avait repoussé les djihadistes fonçant vers Bamako, affronte la tempête. Mais la crise politique actuelle vient s’ajouter aux lourdes pertes subies par l’armée malienne face aux djihadistes, qui ont repris de la vigueur ces dernières années.
En effet, sept ans après l’intervention française, une part croissante de l’immense territoire malien échappe à l’autorité de l’Etat. Cela favorise aussi les affrontements intercommunautaires, en particulier dans le centre du pays. Dans les zones contrôlées par le gouvernement, la grogne sociale est constante, sur fond de corruption et d’incurie des pouvoirs publics. Bref, le bilan du président est maigre.
«Gestion familiale du pouvoir»
S’il entend aller au bout de son second mandat, Ibrahim Boubacar Keïta va devoir composer avec ses adversaires. Cet homme réputé à poigne, élu en 2013 pour remettre de l’ordre dans un pays fracturé puis réélu en 2018, peut-il se réinventer? «Pour que sa main tendue soit crédible, il faut qu’il libère les leaders du mouvement du 5 juin», pointe Mohamed Amara, de l’Université des lettres et des sciences de Bamako et auteur de Marchands d’angoisse – Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être (Ed. Grandvaux, 2019).
«IBK doit sortir de sa gestion familiale du pouvoir, continue le sociologue, faisant référence à son fils qui vient d’être réélu à l’Assemblée nationale. Les Maliens ne supportent plus l’enrichissement d’une petite élite alors que le Mali est toujours l’un des pays les plus pauvres du monde.»
Proximité avec la France
Arrière-petit-fils d’un soldat malien tué dans les tranchées de Verdun, IBK a étudié à la Sorbonne. Ce francophile a aussi milité au sein d’organisations d’étudiants africains de la gauche radicale, à Paris, se liant avec d’autres futurs chefs d’Etat du continent. Le parti présidentiel fait d’ailleurs toujours partie de l’internationale socialiste. Sur ce point, Mohamed Amara est tout aussi sévère: «Le cancer de la corruption et le détournement des fonds publics neutralisent toute politique sociale.»
Allié précieux de la France sous François Hollande, IBK est devenu plus encombrant. Dans la crise actuelle, Paris brille par son silence, alors que les pays africains et l’Union européenne ont condamné la répression et réclamé la libération des leaders de la contestation. Accueillie en libératrice en 2013, l’ancienne puissance coloniale marche sur des œufs. Les assauts répétés des djihadistes nourrissent l’exaspération des Maliens, dont le pays accueille la plupart des 5100 militaires français déployés contre le terrorisme au Sahel.
La France aspire à se désengager progressivement, continuant à former l’armée malienne et comptant sur des renforts européens. Dans une interview au journal Le Monde, François Lecointre, le chef d’état-major français, usait de la métaphore: «Nous sommes toujours face à la question de celui qui apprend à quelqu’un à faire de la bicyclette. Quand dois-je lâcher le porte-bagages? Et où? Pas dans une pente, bien sûr.» Le moment n’a sans doute jamais paru aussi peu propice.
Par Simon Petite