Réforme du système éducatif en Mauritanie : Quelle thérapie pour quelle pathologie ?
Initiatives News - Depuis quelques semaines la question de la réforme du système éducatif enflamme la toile, déchaine les passions dans les rues et salons de Nouakchottet réveille les vieux démons de la division qui remontent à la naissance du pays.
Cela n’est pas surprenant quand on sait qu’un système éducatif n’est jamais neutre etque la question des langues d’enseignement a toujours divisé et divise encore les mauritaniens.
Aux yeux de beaucoup d’observateurs, les différents régimes qui se sont succédés en Mauritanie ont en général manqué de volonté politique pour gérer la diversité linguistique et culturelle du pays.
La diversité des langues et des races, une volonté divine à respecter
Malgré la référence au coran dans tous les aspects de la vie des mauritaniens et les revendications légitimes de certaines composantes nationales, les planificateurs des politiques publiques en matière d’éducation minimisent encore s’ils ne rejettent pas tout simplement ce que Dieu a laissé apparaitre comme un de Ses signes : la diversité des langues et des races :
وَمِنْ آيَاتِهِ خَلْقُ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ وَاخْتِلَافُ أَلْسِنَتِكُمْ وَأَلْوَانِكُمْ إِنَّ فِي ذَلِكَ لَآيَاتٍ لِّلْعَالِمِينَ
”Et parmi Ses signes, la création des cieux et de la terre et la variété de vos idiomes et de vos couleurs. Il y a en cela des preuves pour les savants ». Souratroum verset 22.
Ce verset s’adresse à l’intelligence humaine pour que nous puissionsregarder et réfléchir sur certains des signes de Dieu : la création des cieux et de la terre et la différence de nos langues et de nos couleurs.Dieu dans toute sa puissance, a voulu la diversité.
De par leurs lieux de naissance et leur environnement scolaire ou familial, les mauritaniens parlent, l’arabe, le Hassaniya, le Pulaar, le soninké, le wolof, le Bambara, le français, etc.Mais dans les espaces publics et privés mais les actes posés par l’EtatMauritanien ne recoupent guère cette diversité. La réforme de l’éducation en 1999 a été une étape de plus dans la politique d’arabisation des institutions, des administrations et de l’enseignement entamé de façon méthodique depuis longtemps.
Cette dernière réforme qui s’est traduite par l’enseignement de toutes les matières littéraires en arabe a pénalisé les enfants non hassanophones dans leur parcours scolaire et dans lesconcours et examens. Elle a accentué leurs frustrationset suscité des inquiétudessur les motivations réelles du pouvoir dans sa politique linguistique et sa politique de développement des ressources humaines en général.
La question linguistique, un sujet éminemment politique
Le constat d’échecpatent de la réforme en cours se traduit parune baisse de niveau aussi bien des enseignants que des élèves, un mauvais pilotage du système et une mauvaise utilisation des ressources humaines due à plusieurs facteurs qu’il serait fastidieux d’énumérer ici.Au regard de cette situation alarmante, des changements s’imposent. Mais quelle thérapie administrer à ce malade qui est dans un coma profond depuis 22 ans ?
En effet, la question des langues est une question à la fois politique et culturelle à laquelle, il faut trouver une solutionimmédiatesi on a le souci de vouloir créer les conditions d’une cohésion sociale durable en Mauritanie.
Qu’on le veuille ou non, par un accident de l’histoire, le français fait partie de notre patrimoine national tout comme l’anglais l’est pour certains de nos frères arabes et africains. Imposé au départ comme langue d’enseignement pour les besoins de l’administration coloniale, il est devenu pour nous une langue de communication au plan national de par nos origines diverses et au plan international en appartenant à une communauté linguistique malgré la concurrence de l’anglais qui gagne de plus en plus du terrain.
Le statut du français étant actuellement ambigu en Mauritanie, il faut avoir le courage de le clarifier. Pendant que les nantis continuent d’envoyer leurs enfants à l’école française Theodore Monod etdans les autres écolesassimilées, ces mêmes élites instrumentalisent la question linguistique avec comme cible le français que nous avons en partage avec notre environnement immédiat, aussi bien au nord, au sud qu’à l’estdu pays. Nos gouvernants n’ont pas le monopole du patriotisme, ils doivent nous clarifier leurs positions et nous convaincre de leur choix pour nous.
Supprimer le français de notre système éducatifpour le remplacer à 100 % par l’arabe ou à dominante arabe pour tous les enfants comme c’est le cas aujourd’hui est une erreur politique qu’on va payer cash dans le cours terme.Des pays comme le Rwanda ont opté pour l’anglais et ont réussi à relever le niveau de leurs enseignants, élèves et étudiants en le faisant cohabiter avec leur langue nationale et en passant par une période de transition. Le Gabon vient de faire son entrée dans le Commonwealth et envisage d’intégrer dans son système éducatif progressivement l’anglais. Des pays comme le Tchad ont introduit le bilinguisme. Le Tchad a intégré l’arabe au côté du français comme langues nationales et administratives sans renoncer au français.
Il ne faut pas avoir peur de défendre le français en Mauritanie. Il faut même demander à ce qu’il soit bien enseigné tout comme l’arabe. Malheureusement les enseignements/apprentissages dans ces deux langues souffrent de l’incompétence et de la mauvaise foi de certains enseignants. La marche du monde exige également plus d’ouverture en renforçant l’enseignement de l’anglais dans le système éducatif mauritanien.
Ces langues doivent cohabiter avec l’arabe et nos langues nationales: Pulaar, soninké et wolof qui doivent élevées au rang de langues d’enseignement et de langues officielles.
Ne pas aller vers le multilinguisme,c’est créerde nouveaux ghettos avec l’arabe et nos langues nationales. C’estaussi manquer d’ambition pour la Mauritanie et faire preuve de cécité pour ne pas dire d’hypocrisie. En un mot, il faut décomplexer le Mauritanien pauvre des zones rurales et périurbaines face à la problématique des langues et éviterle populismedans ce domaine car il est contreproductif.
Le multilinguisme, un facteur de progrès, d’équité et de justice sociale
Les théoriciens d’un Etat, d’une langue et d’une culture doivent savoir que cela est inacceptable en Mauritanie, un pays qu’ils ont en partage avec d’autres. Il serait judicieux, dans l’intérêt général et dans une volonté de cohabitation pacifique et du vivre ensemble de renoncer à leur projet.Quant aux sceptiquesqu’ils se rassurent, les langues nationales, ancrées dans nos cultures et bases de nos éducations diverses, peuvent aisémentêtre des langues d’enseignement. Ils doivent revoir leurs copieset savoir quela réintroduction des langues nationales dans le système éducatif est un facteur de progrès, d’équitéet de justice sociale que tout mauritanien qui a une vision prospective doit soutenir.
Une institution internationale comme la banque mondiale estime qu’« il est essentiel de fournir aux enfants une instruction dans la langue qu’ils parlent au foyer pour éliminer la pauvreté des apprentissages ». L’UNESCO qui valide les systèmes éducatifs mondiaux et l’USAID, la prestigieuse agence américaine d’appui au développement,reconnaissent aujourd’hui l’intérêt pédagogique, économique et social de l’introduction des langues nationales dans les systèmes éducatifs des pays africains. Les américains ont même financéd’importants projets d’éducation et de promotion des langues nationales dans certains pays comme le Sénégal,expérience à laquelle nous avons participé en tant que membre de l’équipe de pilotage composée de plusieurs experts internationaux.
En 1999, lors de la 30ème session de la Conférence générale de l’UNESCO, les pays membres ont adopté une résolution instaurant la notion « d’éducation« multilingue » pour se référer à l’utilisation d’au moins trois languesy compris les langues maternelles des enfants dans l’éducation parce que convaincus que c’est une voie incontournable et un moyen d’améliorer les résultats de l’apprentissage et de donner vie à la diversité culturelle. La Mauritanie ne vit pas en marge du monde, elle fait partie des pays membres de l’UNESCO et de la communauté internationale.
Par ailleurs, il convient de rappeler l’expérience de l’Institut des Langues Nationales(ILN) créé par décret n° 79.348 du 10/12/79 et dissout en 1999, est remise au goût du jour par la réalité du terrain et mérite d’être revisitée. Elle peut être une source d’inspiration non seulement pour la Mauritanie mais aussi pour d’autres pays africains.
Transcription des langues nationales, un débat déjà tranché
Il faut déplorer ce débat inopportun en Mauritanie sur la transcription des langues negro africaines en caractères arabes, un débat déjà tranché par le décret N° 81.072/PG/MEN du 15/07/1981fixant les alphabets des langues nationales, Pulaar, Sooninke et wolof en caractères latins. Aucun gouvernement attachéà la paix civile ne peut cautionner une remise en question des acquis dans ce domaine. Ceux qui sont derrière cette initiative, ignorent ou font semblant d’ignorerque ce travail de transcription est un travail scientifique rigoureusement conduit par des patriotes sincères pendant plusieurs décennies dont certains ne sont plus de cemonde comme le professeur Agrégé de grammaireDjeydi Moussa Diagana, le Pr Ousmane Moussa Diagana, le Dr Yacouba Oumarou Diagana de Kaédi et Ibrahima Diabira de Diaguely, pour ne citer que ces quelques pionniers qui ont œuvré pour la promotion du Soninké en Mauritanie. Ils ont légué à la postériorité une œuvre monumentale que la nouvelle génération tente de perpétuer. Au niveau du Pulaar et du wolof, le bilan du travail effectué par les chercheurs et autres bonnes volontés dans les différents domaines est aussi impressionnant et le principe est acquis.
Au lieu de chercher à réinventer la roue, il faut d’abord ôter les œillères de la division et du mépris, consolider les acquis, s’améliorer constamment et respecter la volonté des locuteurs des langues nationalescomposantes importantes de notre communauté nationale, de s’épanouir dans un espace mauritanien où l’éducation pourrait être un ascenseur social pour tous les enfants sans distinction.
Conclusion
L’éducation étant l’un des instruments les plus puissants pour lutter contre les inégalités en transformantde façon profonde et durable la vie des populations et enjetant les bases d’une croissance économique solide, il est grand temps d’investir davantage dans ce secteur en repensant les politiques publiques et en gérant autrement ce secteur hautement stratégique qui conditionne l’avenir de tout pays.
Le contexte national et l’environnement international nous imposent le multilinguisme en tenant compte de l’arabe, de nos langues nationales (Pulaar Soninke et Wolof) et des langues internationales comme le français et l’anglais.
J’ose espérer que la crise profonde que traverse l’école mauritanienne servira de déclic à une dynamique de changement devant se traduire par un consensus fort au tour d’une réforme qui répond aux aspirations de toutes les composantes nationaleset par une volonté politique pour l’accompagner dans la mobilisation des ressources humaines, financières et matérielles pour faire face aux défis liés à sa mise en œuvre.Oeuvrons ensemble pour une égalité linguistique à travers le multilinguisme et dans un souci constant du vivre ensemble dans une communauté de destin. Vouloir c’est pouvoir !
Aliou Kissima Tandia,
Kampala le 10 Novembre 2021.