depuis le compte WhatsApp personnel du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. © Mandel Ngan, AFP
Texte par : Sébastian SEIBT
Un virus aurait été envoyé sur le smartphone de Jeff Bezos, patron d’Amazon et du Washington Post, depuis le téléphone personnel du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, affirment plusieurs médias. Les experts de l’Onu réclament une enquête.
MBS en eaux informatiques troubles. Le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, est accusé d’être personnellement impliqué dans le piratage du téléphone de Jeff Bezos, le PDG d’Amazon et patron du Washington Post, d’après les révélations publiées par plusieurs médias occidentaux, mardi 21 janvier.
Un message envoyé à Jeff Bezos depuis le compte WhatsApp personnel de Mohammed ben Salmane, début mai 2018, contenait "avec un degré de certitude moyen à fort" un virus, d’après les recherches d’une équipe d’experts engagée par le patron d’Amazon, rapporte le Financial Times. Un rapport présenté aux Nations unies mercredi 22 janvier arrive à la même conclusion. Les experts de l’Onu ont demandé l’ouverture d'une enquête. Riyad a qualifié ces nouvelles accusations "d’absurdes".
Avec l’aide d’un logiciel espion israélien
Le logiciel malveillant découvert aurait permis à l’entourage du prince héritier d’accéder aux données du smartphone du milliardaire américain et d’en siphonner les informations, raconte le quotidien britannique The Guardian, qui a été le premier à révéler cette affaire.
Les Saoudiens auraient utilisé le logiciel espion Pegasus pour infiltrer le téléphone. Cette arme informatique, développée par la société israélienne de sécurité informatique NSO, est considérée comme le nec plus ultra en la matière. "Nous n’avons jamais vu un logiciel espion aussi sophistiqué. Son existence sur le smartphone infecté ne peut pas être détectée par l’utilisateur. De plus, aucun chiffrement des données n’est efficace pour s’en protéger", expliquait à France 24, en 2016, Gert-Jan Schenk, vice-président Europe, Moyen-Orient et Afrique de Lookout, la société américaine de sécurité informatique sur mobile qui a analysé ce virus en premier. Cette capacité à ignorer le chiffrement des communications en font l’outil parfait pour pirater des comptes de messageries sécurisées comme WhatsApp.
Mohammed ben Salmane a récupéré le numéro de portable de Jeff Bezos à l’occasion de la visite très médiatisée que le prince héritier a effectuée aux États-Unis en mars 2018 pour y rencontrer plusieurs chefs d’entreprise de premier plan. Durant cette tournée, les deux hommes avaient évoqué la possibilité pour Amazon d’installer des centres de données dans le royaume wahhabite. Plusieurs messages échangées sur WhatsApp et que le Financial Times a pu consulter prouvent que des discussions autour des opportunités pour Jeff Bezos d’investir en Arabie saoudite ont continué pendant plusieurs mois.
Les nouvelles révélations suggèrent que le prince héritier n’avait pas que ses intérêts économiques en tête en sollicitant le numéro de portable de l’homme le plus riche du monde. Elles pourraient s’avérer explosives dans l’affaire du meurtre du journaliste dissident saoudien Jamal Khashoggi, en octobre 2018, estime le Guardian. MBS et son entourage ont été accusés d’avoir commandité cet assassinat, ce que Riyad a toujours farouchement nié.
De Jamal Khashoggi à la maîtresse de Jeff Bezos
Le piratage semble indiquer que le régime avait un accès au téléphone du patron du journal qui publiait, depuis juin 2017, les articles critiques de Jamal Khashoggi.
Mohammed ben Salmane "pensait probablement qu’il pourrait obtenir un changement de ton du Washington Post, s’il avait accès à des informations compromettantes sur Jeff Bezos", estime Andrew Miller, un expert américain du Moyen-Orient et ancien conseiller en sécurité nationale de l’ex-président américain Barack Obama, interrogé par The Guardian.
Mais ce nouveau scandale renforce aussi la thèse selon laquelle le pouvoir saoudien a trempé dans la vendetta menée par le camp pro-Trump contre Jeff Bezos sur fond de photos olé olé, l’an dernier.
En janvier 2019, le très conservateur et racoleur tabloïd The National Inquirer révélait les dessous d’une affaire extraconjugale entretenue par Jeff Bezos, entraînant le divorce du milliardaire. Au fil d’une vingtaine d’articles sur ce sujet, le journal détenu par David Pecker, un proche de Donald Trump, dévoilait les frasques de l’homme d’affaires, s’appuyant largement sur des messages échangés entre les deux amants. Point d’orgue de cette histoire, le 9 février, Jeff Bezos dénonçait une tentative de chantage entrepris par les responsables du National Enquirer, qui menaçaient de publier des photos intimes du couple si le Washington Post n’arrêtait pas son enquête sur les liens entre le pouvoir saoudien et le meurtre de Jamal Khashoggi.
Jeff Bezos avait promis de mobiliser ses formidables ressources pour comprendre comment le tabloïd était entré en possession des photos et messages compromettants.
À l’époque, la piste saoudienne avait déjà été évoquée. Mais l’idée que le virus à l’origine de tout ça puisse provenir du compte WhatsApp personnel de Mohammed ben Salmane n’avait effleuré personne. Que le piratage princier soit réel ou non, il est, en tout cas, peu probable qu’Amazon poursuive ses plans d’implanter des nouveaux centres de données en Arabie saoudite.