Le Point Afrique - Algérie, Sénégal et Gambie, voici les trois pays africains qui s'apprêtent à accueillir Recep Tayyip Erdogan.
À partir de ce 26 janvier, le président turc entame en effet une tournée sur le continent, presque deux ans jour pour jour après sa dernière visite. Première étape : l'Algérie où le dirigeant a rendez-vous avec le nouveau président Abdelmadjid Tebboune. Une rencontre qui intervient alors que les deux chefs d'État cherchent à se positionner sur la question libyenne.
Si la Turquie a annoncé, en début de mois, le déploiement de ses troupes sur le sol libyen, l'Algérie, elle, défend plutôt une résolution pacifique du conflit qui a cours depuis 2011.
Le 2 janvier, elle avait désapprouvé l'initiative turque sur la Libye par la voix de son ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum. « L'Algérie n'accepte aucune présence étrangère sur le sol du pays voisin, quel que soit le pays qui veut intervenir », avait-il fait savoir, cité par le journal Observ' Algérie. Le chef de la diplomatie algérienne avait réaffirmé que « la voie des armes ne peut guère être la solution, laquelle réside dans la concertation entre tous les Libyens, avec l'aide de l'ensemble des pays voisins et en particulier l'Algérie ».
Jeudi 23 janvier, le gouvernement a d'ailleurs organisé une rencontre dédiée à Alger, en présence de plusieurs dirigeants africains. Une réunion qui sera certainement au cœur des échanges entre les deux présidents ce dimanche, tout comme leur partenariat économique.
Lors de sa dernière visite en Algérie en 2018, Recep Tayyip Erdogan avait assuré vouloir augmenter les échanges avec son partenaire nord-africain. « 3,5 milliards de dollars d'échanges entre les deux pays, c'est insuffisant », avait-il affirmé, avançant le chiffre de « 5 milliards de dollars, voire dix dans les années à venir ».
À l'époque, la Turquie constituait le sixième client de l'Algérie et son septième fournisseur, d'après le Premier ministre d'alors, Ahmed Ouyahia. Ankara était également « le premier investisseur en Algérie en termes de volume, avec 128 projets, d'une valeur de 474 milliards de dollars, notamment dans les travaux publics et l'industrie », d'après le site d'informations Algérie Eco. La visite du dirigeant turc est donc l'occasion de faire le point.
Le Sénégal, un partenaire grandissant
Il en fera de même au Sénégal, deuxième destination au programme de sa tournée. Depuis quelques années, Recep Tayyip Erdogan s'y impose comme un partenaire privilégié. C'est d'ailleurs la Turquie qui a obtenu la gestion du nouvel aéroport Blaise-Diagne de Dakar. L'infrastructure a été confiée à un consortium turc constitué des entreprises Summa et Limak, qui ont obtenu en 2017 une concession d'une durée de 25 ans.
Le signe d'une coopération nouvelle avec la Turquie qui, pour Macky Sall, ne fait que commencer. « Il y a deux ans, le président m'avait suggéré de porter le volume de nos échanges commerciaux à près de 250 millions. Ce chiffre a été atteint. Une nouvelle barre a été fixée […], soit 400 millions de dollars », avait-il déclaré lors de la précédente visite du chef de l'État turc, en 2018.
« Le partenariat avec la Turquie se porte très bien. Et nous devons l'assumer sans complexe », avait ajouté le président sénégalais, en accord avec son homologue qui, pour sa part, avait assuré vouloir porter le montant des échanges commerciaux entre les deux pays à 400 millions de dollars, contre 250 millions deux ans auparavant. Désormais, les objectifs fixés par les autorités devraient être atteints, au vu des chiffres obtenus ces dernières années.
De 2012 à 2017, les importations du Sénégal en provenance de la Turquie ont considérablement progressé, passant de près de 113 à 190 millions d'euros en 2017. La balance commerciale entre les deux États penche pour la Turquie, le Sénégal étant devenu une destination privilégiée pour les investisseurs et hommes d'affaires turcs dans les domaines de l'agriculture, de l'agroalimentaire ou encore du textile.
La méthode du soft power en Afrique
Le partenariat turco-sénégalais illustre bien la nouvelle approche entamée par la Turquie – traditionnellement plus tournée vers l'Afrique du Nord – du continent. Pour l'aider dans sa démarche, au Sénégal comme ailleurs, Ankara mise sur la Tika, son agence de coopération qui développe des programmes dans l'éducation, l'agriculture ou encore la santé. C'est avec ces initiatives que la Turquie cultive son approche, différente, de l'Afrique, et qui tranche avec les stratégies adoptées par d'autres puissances.
Sur le volet économique, le pays est par exemple « bien moins agressif que la Chine », estime Sinan Ülgen, directeur du centre d'études économiques et des relations internationales d'Istanbul, à Libération. Adepte du soft power, la Turquie applique aussi sa méthode dans le domaine religieux.
Quand l'Arabie saoudite impose le wahhabisme via des ONG ou des organisations transnationales, la Turquie, elle, construit des mosquées et des écoles coraniques. L'école de formation des imams d'Accra et sa mosquée, la plus grande d'Afrique de l'Ouest, ont en effet vu le jour grâce à des fonds turcs. De l'autre côté du continent, c'est sur le volet militaire que s'illustre la Turquie.
Le pays possède en effet deux bases militaires, à Mogadiscio en Somalie, et sur l'île de Suakin au Soudan. Le but affiché : combattre les djihadistes du groupe Al-Shebab. Un point d'ancrage qui lui permet, là aussi, de s'imposer comme un partenaire de l'Afrique. Et cette relation tend largement à se développer. En une vingtaine d'années, les échanges économiques entre le pays et le continent sont passés de 100 millions à 20,6 milliards de dollars.
Par Marlène Panara