Santé et Éducation : Réelle volonté de réformes ou simple velléité ?

mer, 05/02/2020 - 00:48

Le Calame - Depuis son investiture et sa prise de fonction, le président Ghazwani semble décider à apporter des solutions appropriées aux secteurs sociaux de l’éducation et de la santé. Aujourd’hui, les deux ministères apparaissent déjà comme les plus dynamiques au sein du gouvernement.

Après avoir passé en revue, la semaine dernière, la situation au département de la Santé, voyons un peu ce qu’il se passe en celui de l’Éducation, à nouveau éclaté, et pour la énième fois, en deux ministères : Fondamental et Secondaire auquel on a adjoint la Formation technique et professionnelle…

Une partition au demeurant hésitante, pour ne pas dire conflictuelle, dès le lendemain même de la formation du gouvernement, chacun des ministres voulant s’installer dans les vieux locaux du département. Un compromis a fini par être trouvé et les deux ont trouvé logements.

Comment seront articulées les DREN et les IDEN ? Question pour le moment sans réponse. Mais elle ne devrait pas tarder, nous assure-t-on, fort de la volonté politique affichée par les nouveaux pouvoirs publics.

Et de citer, à l’appui, la décision du président de la République de donner le coup d’envoi de la rentrée scolaire dans une école de la banlieue nouakchottoise, le 7 Octobre dernier. Coup de pub, disent certains, les yeux rivés sur les problèmes persistants.

Il suffit, pour s’en convaincre, de constater l’état des lieux après le premier trimestre de la présente année scolaire.

Le déficit des enseignants reste criant, les manuels scolaires toujours pas disponibles en quantité suffisante, on les exhibe au marché de la capitale à des prix inaccessibles aux familles démunies.

Déficit chronique

C’est dans ce contexte que les deux départements annoncent, via des communiqués communs, le recrutement de « prestataires de services », jusqu’ici appelés « contractuels ». Des milliers (5030) pour combler le déficit, criant, d’enseignants, aussi bien du Fondamental que du Secondaire. Nos écoles normales en fournissent pourtant des centaines chaque année.

Où passent donc les sortants des ENI et ENS ? Question à un million d’euros dont la réponse devrait se trouver du côté des écoles privées…

Quoiqu’il en soit, les besoins se font de plus en plus pressants et l’on accuse un sérieux retard à le combler. Des tentatives ont démarré en 2003, avec le dernier recrutement dans le secteur. Mais pourquoi ces besoins ne sont-ils jamais précisément évalués et les mesures appropriées arrêtées ? Ni en fin de chaque année scolaire, ni à la veille de chaque rentrée ?

On ne commence à s’y prendre, localement, qu’au lendemain de celle-ci et les rapports des établissements et les DREN ne sont visiblement pas exploités à temps par les directions concernées au ministère.

Mais cela fait tout de même près de vingt ans qu’on court dernière ce déficit, et la solution ne s’est limitée qu’à des recrutements de « contractuels » ordinairement de piètre qualité et toujours après la rentrée scolaire, comme si le département de l’Éducation ne pouvait se rappeler de cette équation qu’à l’ouverture des classes. Une tâche abandonnée, jusqu’à cette année, aux directions régionales.

Ailleurs, on prépare la rentrée scolaire presque deux mois à l’avance, par conseils interministériels ; ici, on ne s’y penche véritablement qu’au cours de son premier mois. Le mouvement du personnel, les tableaux de bord, les transferts des enfants, leur inscription, l’entretien des locaux, tout cela se fait en urgence, en vrac et en même temps.

Résultat des courses : les cours ne démarrent que timidement dans de nombreux établissements. On note tout de même, cette année, une légère amélioration : les inscriptions ont été avancées d’une semaine avant la rentrée fixée au 7 Octobre.

Pour autant, les écoliers et leurs parents ne se sont pas précipités dans les établissements. Le coup de pub, c’était en vue de leur information à temps qu’il eût plutôt fallu le consacrer.

Et de fait, c’est plus à une espèce de propagande qu’on assiste qu’à des mesures draconiennes : des ministres se rendent sur le terrain, quelques petites semaines après leur entrée en fonction, sans donc avoir véritablement pris le pouls de leur département (besoins et disponibilités), on multiplie les réunions et les séminaires, tandis que les enseignants se demandent à quelle sauce vont-ils être mangés, quand les primes vont-elles tomber, intervenir le mouvement des DREN et IDEN dont sont certains sont partis à la retraite... Les deux départements vont-ils améliorer leurs conditions de travail ?

Plus étonnant, quatre mois après la rentrée scolaire, les ministères continuent à se chercher. Le recrutement des contractuels, Fondamental et Secondaire itou, n’en finit pas et les prestataires retenus ne devraient entrer dans les classes qu’à la fin-Février, au terme d’une formation accélérée de quelques jours, avec un niveau sacrifié sur l’autel de l’urgence. Comment, dans ces conditions, régler les problèmes de l’école mauritanienne ?

Mauvaise utilisation des ressources humaines

Cela dit, le plus gros défi de notre éducation demeure l’utilisation efficiente du personnel. Le déficit qu’on agite comme un épouvantail est entretenu par le secteur de l’Éducation lui-même. Outre les détachements vers d’autres départements, il utilise mal ses ressources humaines. Le gros de la troupe végète au niveau central.

Du cabinet du ministre aux petites écoles, ils sont des milliers d’enseignants, professeurs, directeurs des études, surveillants généraux et personnel non permanent, entretenus à ne rien faire.

Beaucoup sont couverts par le ministère et par… les bras longs. Les tableaux de bord des établissements sont exagérément gonflés. Tout ce personnel indu est imposé aux directeurs régionaux et aux chefs d’établissement. Laxisme indescriptible et inadmissible.

Ce sont, en fait, nos politiques qui ont sabordé l’éducation, à grands coups de promotions, mutations et fondations d’établissement de complaisance, comme les « écoles d’excellence », objets de grosses critiques et considérées comme un facteur de ségrégation entre les enfants mauritaniens. Quasiment seuls les « fils à papa » n’ayant pu intégrer les filières françaises y accèdent.

C’est dire que le recrutement des « prestataires de services » risque fort connaître le même sort que les précédents. Les ministères concernés réclament des bacheliers pour le Fondamental et des titulaires de DEUG, à défaut de maîtrise, pour toutes les filières du Secondaire. Un recrutement qui va donc laisser sur le carreau d’anciens contractuels qui totalisent pourtant des années d’expérience pratique.

Grosse hypocrisie

Depuis des années, on crie au déficit du personnel enseignant et à la baisse de leur niveau, entraînant celui des apprenants, sans en rechercher les véritables causes. Les séminaires, journées de concertations et toute une « Année de l’Éducation » n’ont pas réussi à sortir notre école de l’ornière.

Elle continue même à s’y enfoncer davantage, à cause de ces mêmes responsables : le poisson a pourri par la tête. Un président de la République, les membres de son gouvernement et les hauts cadres de l’État dont les enfants sont envoyés tous au lycée Théodore Monod ou à défaut, dans des établissements privés dispensant programmes français, ont-ils le moindre souci de l’école publique mauritanienne ?

Des autres enfants du peuple ? Comment construire, dans ces conditions, une unité nationale, alors que nos enfants n’apprennent pas tous un minimum de choses communes, dans les mêmes écoles ? Autre hypocrisie, certains citoyens mauritaniens réclamant l’arabisation intégrale de l’école et de l’administration envoient leurs enfants étudier le français ou paient des enseignants pour enseigner le français ! Et s’opposent, de surcroît, à l'officialisation et à l'enseignement d'autres langues – nationales, elles : pulaar, soninké et wolof – dans notre système éducatif !

Autre problème, les ministres et secrétaires nommés dans le département y sont souvent étrangers. Il ne manque pourtant pas de cadres compétents à même de le piloter à bon port. Cette situation frustre beaucoup de ses cadres.

Oui, l’école mauritanienne est malade et les pouvoirs qui se succèdent depuis l’indépendance à la tête du pays refusent malheureusement de dresser le diagnostic apte à apporter le remède qu’il lui faut. « Réfléchir sur l’école d’aujourd’hui, c’est envisager la société de demain », a dit un avisé commentateur. Une société ancrée dans ses valeurs et ouverte au monde, ajouterai-je.

La volonté politique affichée par le président Ghazwani restera sans effet si les ministres à charge de l’éducation n’ont pas carte blanche pour agir, comme d’ailleurs les autres. Et pour vaincre ce signe mauritanien, un débat national s’impose. Trêve de shows politiciens !

DL