Artiste, écrivaine, conteuse, militante des droits humains… Coumba Touré valse entre plusieurs identités et univers. Femme forte, féministe intransigeante, la présidente du conseil d’administration du think thank TrustAfrica et coordinatrice du mouvement Africans rising (une plateforme regroupant plus de 400 mouvements et associations de la société civile en Afrique), se bat, depuis plus de vingt ans, pour défendre les droits des personnes vulnérables. Un combat qui lui a valu le prix Martin et Correta King 2020. Portrait d’une femme énergique.
Par Seydou KA
À la manière de cette fontaine du Bois de Boulogne dont parlait Roland Barthes, qui capte la lumière du jour pour ensuite éclairer la nuit, Coumba Touré aime tirer des héroïnes de l’ombre à la lumière. Elle raconte l’histoire de ces « géantes invisibles» dans un ouvrage coédité avec la Fondation Heinrich Böll à Dakar. L’idée est partie de la célébration de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. «Il y a un musée dans la ville de Selma [Alabama]; et sur le mur, des gens ont mis des étiquettes ‘’I was there’’ [j’étais là]. Et cela m’a fait prendre conscience que quand on parle de ces luttes (pour les droits civiques ou contre l’apartheid), les noms qui sortent, que tout le monde connaît, c’est Martin Luther King, Malcolm X… Mais pour que les choses se passent, il a fallu l’apport inestimable de beaucoup de gens, surtout des femmes, que personne ne connaît. C’est comme ça que m’est venue l’idée de célébrer ces géantes invisibles, parce que nous en avons aussi beaucoup chez nous », raconte-t-elle. Une initiative qui résume parfaitement la personnalité de Coumba Touré. Engagée, passionnée et surtout généreuse. « Ce qu’on ne peut partager ne nous appartient pas réellement», philosophe-t-elle. Cet engagement et cette générosité lui ont valu le prix Martin et Correta King pour l’unité internationale reçue le 1er mars à Selma en Alabama (États-Unis), en compagnie de Stacy Abram, le député de l’État de Georgia, et trois autres nominés (Martin Luther King III, son épouse et sa fille). Une distinction qui récompense « ses efforts pour faire avancer le respect des droits humains en Afrique et ailleurs dans le monde ».
À 47 ans, cette femme frêle, mais forte, se considère comme étant beaucoup plus âgée que son âge réel. « À 15 ans, j’avais l’impression d’en avoir 30, parce que j’ai eu la chance de m’associer très tôt avec des personnes beaucoup plus âgées que moi », se souvient-elle. Sa meilleure amie a plus de 90 ans ! « Il arrive qu’on discute de quelque chose et qu’on se dise toutes les deux, « ça on ne peut pas le dire aux enfants » [de son amie], alors que ces derniers sont tous plus âgés que moi », raconte-telle à travers un éclat de rires. Une précocité qui lui permet d’avoir « toujours une longueur d’avance sur les autres ». Une qualité plus qu’une prétention, dans la mesure où elle aime s’entourer de gens qui sont « meilleures » qu’elle.
Féminisme-humaniste
Coumba Touré revendique un féminisme intégral pour ne pas dire intransigeant. Un féminisme qui défend tous les opprimés, les laissés-pour-compte, contre ceux qui accaparent les privilèges. « Je suis féministe. Point », martèle-t-elle, d’un ton ferme. Pas de « si » encore moins de « mais ». Voilà qui est clair. Pour elle, être féministe, c’est d’abord être humaniste. « C’est un féminisme ancré dans un humanisme », dit-elle. Ce qui veut dire qu’il faut oublier l’opposition binaire homme-femme pour prendre en charge l’humain dans toutes ses dimensions et ses fragilités. Un féminisme qui répare toutes les vulnérabilités, pour parler comme Christiane Taubira. Mais à la différence de cette dernière, Coumba Touré ne cherche nullement à faire subir aux hommes « l’expérience de la minorité ». « Mon féminisme est ancré dans mon africanité », dit-elle, sans rejeter l’héritage des autres mouvements féministes dans le monde. L’influence doit être réciproque. Par exemple, les femmes occidentales, qui se battent pour garder leur nom de famille après le mariage, peuvent s’inspirer de leurs sœurs africaines. « Il y a beaucoup de choses que nous avons en Afrique qui sont du domaine de l’appartenance et du pouvoir de la femme ». Un héritage souvent méconnu. Cependant, « la vraie bataille, ce n’est pas de faire la même chose que les hommes quand ce qu’ils font est mauvais», explique-t-elle, jugeant insensé, par exemple, de se battre pour que les femmes aient le droit de travailler dans les mines quand les hommes qui y travaillent sont déjà en train de mourir. « Le vrai combat, c’est de se battre pour sortir ces hommes de cette situation et contre toutes formes d’inégalités ».
Fille d’éducateurs et artiste dans l’âme, Coumba Touré a très tôt découvert en elle une sensibilité et une forte croyance à l’humain et en sa capacité à faire quelque chose pour changer le monde. Un ancrage culturel qui refuse que l’individu détourne le regard face une situation, sans rien faire, qui l’a poussé à s’engager très tôt dans des combats qui la dépassent. Elle cite cette vieille sagesse africaine et islamique : « Si on le peut, on doit agir ; si on ne peut pas agir, on doit au moins montrer notre désapprobation par la parole face à une situation d’injustice ». Déjà à l’adolescence, elle s’engage dans les mouvements éducatifs et populaires, dans la lutte contre le Vih/Sida… Plus tard, en tant que féministe, dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Ses modèles sont : Binta Sarr, hydraulicienne et présidente de l’Association pour la promotion de la femme sénégalaise (Aprofes), et la militante nigériane des droits humains Ayesha Imam. Des femmes « inspirantes» qui ont balisé la voie.
Cohérence
Coumba Touré revendique une certaine authenticité. Lors de notre rendez-vous, ce 16 mars dans les locaux du « Soleil», elle arbore ostensiblement, et fièrement, son africanité. Une jolie robe noire assortie de chaussures bleues (fabriquées par une femme vivant avec un handicap), dreadlocks et boucles d’oreilles… Tout est fabriqué localement. « Les seuls objets fabriqués à l’étranger que j’achète, c’est l’ordinateur, le téléphone, la voiture », dit-elle. Une règle de conduite qu’elle s’est imposée depuis plus de vingt ans. Parce que « nous ne pouvons pas dire Trust Africa (croire en l’Afrique) ou Africans rising et nous blanchir la peau ou nous défriser les cheveux». Au-delà de prêcher par l’exemple, il s’agit « d’imposer l’esthétique africaine». Dans un contexte de guerre culturelle, elle pense que les artistes ont pour rôle de « faire rêver et faire aimer » la culture africaine au reste du monde.
Après un bac C (scientifique), celle qui rêvait de devenir programmateur informatique opte finalement pour les « humanities» (humanités). Elle part aux États-Unis pour un Mba en environnement. Un choix jugé incongru à l’époque où le changement climatique n’était pas encore à la mode. Mais pour cette femme qui n’a jamais l’habitude de faire les choses comme les autres, ce qui compte ce sont les connaissances acquises et non les diplômes. Une quête insatiable de connaissance qui la pousse à continuer ses études jusqu’à aujourd’hui. Cette année, elle est inscrite comme étudiante en communication à Ejicom. Il y a deux ans, elle a obtenu son Master en gestion-entreprenariat à l’Institut supérieur de management (Ism) Dakar. Parallèlement, elle écrit des livres pour enfants en français, anglais et wolof. Une activité « ludique », sorte de jardin secret pour assouvir sa passion pour l’écriture, mais qu’elle considère comme « la plus importante et la plus engagée » de ses activités. À travers ses livres, elle ressuscite des mythes, des histoires fascinantes pour « façonner les consciences très tôt ». À la maison, elle a un rituel quotidien : raconter chaque soir une nouvelle histoire à ses trois enfants. Parfois, elle s’inspire de l’actualité. « L’autre soir, je leur ai raconté l’histoire du méchant corona », en référence à la pandémie du coronavirus qui ébranle actuellement le monde.
L’on ne peut s’empêcher de demander où une femme si frêle, et à l’apparence fragile, tire autant d’énergie pour mener toutes ces activités, sans compter les voyages, etc. De l’organisation. « Je dors très peu», dit-elle. Mais aussi de sa nature. « Je viens d’une lignée familiale où les femmes sont très énergiques », lâche-t-elle dans un éclat de rires. Une force de la nature. À l’image de sa grand-mère, décédée récemment à l’âge de… 100 ans. « Elle était très petite, comme moi, mais elle ne se laissait pas faire ».
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