L’ancien sénateur socialiste Henri Weber, figure de Mai 68 et du trotskisme français des années 1960 et 1970, est mort

lun, 27/04/2020 - 00:46

 

Il s’était converti à la social-démocratie et était entré au Parti socialiste en 1986. Sénateur puis député européen, il a été victime du Covid-19, le 26 avril, à l’âge de 75 ans.

Par Abel Mestre

Henri Weber, le 24 avril 2014, à Paris. ERIC FEFERBERG / AFP

Henri Weber, ancien sénateur socialiste de Seine-Maritime, est mort dimanche 26 avril, du Covid-19 en Avignon, a annoncé sa famille. Il était âgé de 75 ans. Ce proche de Laurent Fabius a été l’une des figures du trotskisme français avant sa conversion à la social-démocratie dans les années 1980. Sa vie et son parcours ont suivi les tourments du XXe siècle.

Henri Weber est né le 24 juin 1944 à Leninabad, en URSS (aujourd’hui Khodjent au Tadjikistan), dans un camp de travail soviétique, sur un navire-hôpital amarré sur les rives du fleuve Syr-Daria. Sa famille, juive polonaise, avait fui sa ville de Chrzanow, en Galicie, à quelques kilomètres d’Auschwitz, au moment de l’invasion nazie de la Pologne, en 1939, choisissant l’URSS.

 Refusant de devenir citoyens soviétiques, les époux Weber furent envoyés d’abord dans un camp de travail en Sibérie avant d’être transférés, à leur demande, à Leninabad. Là-bas, le père est employé comme bûcheron et la mère comme couturière. « Ce n’était pas un centre de détention à régime sévère, encore moins un camp d’extermination mais un vrai camp de travail : une fois leur journée accomplie, les détenus vaquent librement à leurs occupations », explique Henri Weber, dans son autobiographie Rebelle jeunesse (éd. Robert Laffont, 2018).

Article réservé à nos abonnés Lire aussi  1989-2019 : la social-démocratie, continent englouti

Une fois la guerre terminée, la famille Weber retourna un temps en Pologne, mais l’antisémitisme encore prégnant les convainquit de partir. En 1948, les Weber s’installent à Paris, où le père reprend son activité d’horloger.

Opposition à la guerre d’Algérie

Le jeune Henri grandit dans le quartier de Belleville. C’est un bon élève mais turbulent. Il gravit toutes les marches de la méritocratie républicaine et finit par intégrer le lycée Jacques-Decour après que son père et sa mère eussent déménagé dans le 9e arrondissement, plus bourgeois. C’est à cette époque qu’Henri Weber se politise. Ses parents, « athées et anticléricaux à souhait », selon Weber, sont de gauche.

Le jeune Henri et son frère sont d’ailleurs inscrits à l’Hachomer Hatzaïr, un mouvement scout laïque, sioniste et socialiste. Ce sera sa véritable matrice politique, qui guidera ses futurs choix militants. A commencer par son opposition à la guerre d’Algérie (1954-1962) quand il était au lycée. A 16 ans, il adhère aux Jeunesses communistes au grand dam de ses parents, antistaliniens.

Il est toujours adhérent au parti de Maurice Thorez quand il entre, en 1962, à la Sorbonne. En bon militant discipliné, il s’inscrit à l’UNEF et à l’Union des étudiants communistes (UEC). A l’époque, l’UEC est un chaudron où se côtoie tout ce que la gauche radicale comprend de chapelles. La première intervention d’Henri Weber est bien particulière : il reproche à ses camarades de ne pas vider les poubelles ni de nettoyer leurs locaux et les invite à afficher les chiffres de vente de Clarté, le journal de l’UEC.

L’intervention ne passe pas inaperçue. Surtout pour Alain Krivine, qui repère cet organisateur né. Agé de trois ans de plus, c’est un « vieux » militant étudiant biberonné au communisme. Il prépare, en toute discrétion, son départ et celui de ses camarades trotskistes de l’UEC. Les deux hommes se lieront d’amitié. Krivine arrivera à le convaincre, lors d’un camp d’été de l’UEC en Algérie, de rejoindre les partisans de la IVe Internationale.

Jeunesse communiste révolutionnaire

Les trotskistes sont finalement exclus du PCF et de l’UEC en 1965. La Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) est créée. Leur travail est lourd : il s’agit d’exister dans la jungle des organisations gauchistes de l’époque, se différencier des autres trotskistes, créer « une avant-garde révolutionnaire »… Un travail à temps plein dans lequel s’investit Weber aux côtés d’Alain Krivine et de Daniel Bensaïd. Henri Weber crée ainsi le service d’ordre de la JCR, qui sera craint notamment par les militants d’extrême droite.

Quand Mai 68 éclate, la JCR est incontournable dans le milieu étudiant. Plus ouverts que les autres, ces trotskistes sont capables de travailler avec des libertaires comme au sein du Mouvement du 22-Mars, où Daniel Bensaïd tient un rôle-clé et dont la figure est Daniel Cohn-Bendit. Moins austère que ses concurrents, la JCR est attractive et n’apparaît pas comme une organisation sectaire. Weber, Krivine, Bensaïd vivent ces journées comme une « répétition générale », la reproduction du 1905 russe. Henri Weber est de tous les meetings, de toutes les manifestations, il tient des barricades les nuits d’émeute.

Après les événements, la JCR est dissoute comme d’autres groupuscules. Elle renaît d’abord sous la forme d’un journal, Rouge, que Weber dirigera. La publication est financée par les droits d’auteur du livre coécrit par Weber et Bensaïd, Mai 1968 : une répétition générale ? (Maspero, 1968).

C’est une période qui lui est faste. Alors qu’il milite à temps plein et travaille à la naissance d’une autre organisation (la Ligue communiste, qui sera fondée en 1969), il reçoit un coup de fil de Michel Foucault : l’auteur de Surveiller et punir lui propose d’intégrer son équipe dans la nouvelle université de Vincennes, qui verra affluer tout le gratin gauchiste. Weber accepte. Il enseignera la philosophie, ne manquant pas de se faire houspiller par les nombreux militants maoïstes actifs sur le campus.

Les années 1970 vivent les soubresauts de Mai 68 : le militantisme y est débridé, les bagarres entre factions et contre l’extrême droite sont permanentes. En 1973, après de durs affrontements avec les néofascistes d’Ordre nouveau, la Ligue communiste est dissoute et ses leaders entrent en clandestinité. C’est à cette époque que Weber rencontre Fabienne Servan-Schreiber, qu’il épousera en grande pompe en 2007.

« A la fin des années 1970, j’étais mûr pour me rallier à l’expérience du nouveau PS. Il me fallait du temps pour opérer mon travail de deuil. Je suis donc parti sans bruit »

Peu à peu, les premières fissures apparaissent dans les convictions trotskistes de Weber. Il s’éloigne de son organisation, de ses camarades, et se concentre sur ses travaux de recherche, observe ce qu’il se passe à l’étranger. Il s’intéresse notamment à l’eurocommunisme. Il lit, creuse, écrit plusieurs ouvrages (comme Marxisme et conscience de classe, Bourgeois, 1974 ; Parti communiste italien : aux sources de l’Eurocommunisme, 1977, chez le même éditeur), travaille sa matière, redécouvre les écrits de Max Weber, Hans Kelsen, Alexis de Tocqueville, Benjamin Constant… « A la fin des années 1970, j’étais mûr pour me rallier à l’expérience du nouveau PS, confesse Weber dans son autobiographie. (…) Il me fallait du temps pour opérer mon travail de deuil (…) Je suis donc parti sans bruit. »

Weber mettra du temps à sauter le pas et à prendre sa carte ornée du poing et de la rose. Au début des années 1980, il entame une longue enquête sur le mouvement patronal qui deviendra un livre quelques années plus tard (Le Parti des patrons : le CNPF (1946-1986), Seuil, 1986). C’est dans ce cadre qu’il rencontre Laurent Fabius. Les deux hommes sont séduits l’un par l’autre.

Lire la tribune d’Henri Weber publiée en février 2020 : En Europe, « la multiplication des partis-entreprises ne constitue pas un progrès pour la démocratie »

Quand Laurent Fabius devient premier ministre, en 1984, Henri Weber travaille pour lui d’abord discrètement, lui envoie des notes, puis finit par intégrer son premier cercle à Matignon. En 1986, il adhère au PS, qui sera sa « maison » politique définitive. Il y animera le courant fabiusien, avec notamment Claude Bartolone. Il suit Laurent Fabius à la tête du PS quand il devient premier secrétaire en 1992. Pendant près de trente ans, Henri Weber sera un membre indéboulonnable de la direction socialiste, respecté et apprécié de tous, notamment par son érudition et sa manière d’élever les débats internes.

Parallèlement, Henri Weber exerça plusieurs mandats : adjoint au maire de Saint-Denis (1988-1995) puis sénateur de Seine-Maritime – bastion de la Fabiusie – entre 1995 et 2004. Il sera ensuite député européen entre 2004 et 2014, jusqu’à l’âge de 70 ans. Henri Weber concluait ses mémoires ainsi : « Avec quelques ex-barricadiers, nous nous étions promis de passer le relais aux jeunes générations, passé 70 ans. Et nous avons tenu parole. »