Marché des déchets de Nouakchott : à qui incombe la responsabilité des annulations répétées ? Par Sidi Mohamed Sidi El Moustaph*

lun, 26/05/2025 - 12:24

La Commission de passation des marchés publics (CPMP) du ministère de l’Intérieur, de la Promotion de la Décentralisation et du Développement local (MIPDDL) vient d’attribuer le 9 mai courant, pour la troisième fois consécutive, le marché relatif à la collecte et au transport des déchets solides de la ville de Nouakchott à la société marocaine SOS NDD, pour un montant de 6,9 milliards MRO.

Sur le plan juridique, le renouvellement de cette attribution, par la même CPMP et au bénéfice du même soumissionnaire, après deux décisions d’annulation rendues par la Commission de règlement des différends (CRD) de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), expose la procédure à un risque contentieux majeur. En effet, si des recours sont introduits contre cette nouvelle décision d’attribution, celle-ci pourrait être suspendue d’office dans le cadre de la procédure de règlement des différends, puis annulée pour réitération d’une irrégularité déjà sanctionnée par la CRD. Une telle situation compromettrait sérieusement la continuité et l’efficience de ce service public essentiel qu’est l’enlèvement des ordures, dans une ville déjà confrontée à une crise aiguë de gestion des déchets.

Il convient tout d’abord de rappeler que les règles de passation des marchés publics reposent sur les principes de liberté d’accès auxdits marchés, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Par ailleurs, le cadre institutionnel « (…) repose sur le principe de la séparation des fonctions de passation, de contrôle et de régulation des marchés publics (…) », comme le précise l’article 6 de la loi n°2021-024 portant Code des marchés publics.

Trois organes distincts, aux missions complémentaires mais autonomes, interviennent dans ce cadre : les organes de passation (les CPMP), l’organe de contrôle a priori et a posteriori (la Commission nationale de contrôle des marchés publics – CNCMP) et l’organe de régulation (l’ARMP, dont dépend la CRD).

À cet égard, l’article 55 de la loi n°2021-024 précitée précise que : « (…) la saisine de la CRD entraîne une suspension immédiate de la procédure de passation (…) ». Cette disposition entraîne une suspension automatique de la procédure de passation, y compris de toute décision d’attribution, dès qu’un recours est formé devant la CRD, et ce, jusqu’à ce qu’elle se prononce sur le fond du dossier, mais « (…) les décisions de la CRD sont exécutoires et ont force contraignante pour les parties. Ces décisions sont définitives. Toutefois, elles peuvent faire l’objet d’un recours, qui n’a pas d’effet suspensif, devant la juridiction compétente. » précise l’article 19 du décret n°2022-085 relatif à l’ARMP.

Une troisième attribution

Pour mémoire, une première attribution provisoire le 15 janvier 2025 du marché à la société SOS NDD  pour un montant de 7,5 milliards MRO a été annulée par la CRD le 23 janvier 2025, à la suite de recours introduits par les sociétés SMTD et SOUDATRI, une seconde attribution au profit du même soumissionnaire, le 16 avril 2025 pour un montant de 6,9 milliards MRO opérée par la même CPMP, a également été annulée le 28 avril 2025 après de nouveaux recours introduits cette fois-ci par la même SMTD et le groupement ECOTI–SOCOBAT. Si les griefs du groupement ont été écartés, la CRD a estimé fondée la contestation de SMTD  et a annulé l’attribution et ordonné la reprise de l’évaluation des offres, l’attribution récemment intervenue constitue donc la troisième attribution, réalisée dans un contexte marqué par des contestations répétées et des irrégularités persistantes.

Le présent article vise à examiner, à la lumière du cadre juridique applicable, les dysfonctionnements ayant conduit à ce cycle récurrent d’attributions, de suspensions et d’annulations.

Il importe, en premier lieu, de préciser que les éléments sur lesquels s’appuie cet article proviennent exclusivement de sources disponibles en ligne, notamment les textes relatifs au Code des marchés publics, les documents types, ainsi que les décisions rendues par l’AC, la CPMP et la CRD, aucun de ces documents n’est frappé du sceau de la confidentialité, toutefois, les informations qu’ils contiennent ne permettent pas d’avoir une vision pleinement claire de la situation, certaines données étant éliminées par la CRD pour des raisons de confidentialité, comme le prévoit l’article 25 du décret n°2022-085 relatif à l’ARMP.

Cet article s’attache à analyser les causes procédurales et institutionnelles de cette instabilité, en vue de clarifier les responsabilités respectives des principaux intervenants dans la chaîne de passation des marchés publics.

La récurrence des annulations de décisions d’attribution dans ce marché s’explique par une série d’irrégularités relevées au fil des procédures successives.

 

Contestations non fondées

À la suite des recours introduits par les sociétés SMTD et SOUDATRI, la Commission de Règlement des Différends (CRD) a, dans une première décision, annulé la décision d’attribution provisoire du marché objet du DAOOI n°28/CPMP/MIPDDL/DGCT/2024, datée du 15 janvier 2025, en faveur de la société marocaine SOS NDD.

Bien qu’elle ait jugé non fondées les contestations portant sur le rejet des offres des requérants, la CRD a considéré que la qualification de la société attributaire n’était pas justifiée et que la procédure d’attribution était entachée d’irrégularités. Elle a, en conséquence, annulé à la fois la décision d’attribution et la procédure y afférente, sans toutefois préciser la nature exacte des manquements relevés.

L’AC a alors relancé la procédure par la publication d’un nouveau DAOOI, le 19 février 2025. Ce dossier a fait l’objet d’un additif, daté du 19 mars suivant, modifiant plusieurs clauses du Règlement particulier de l’appel d’offres (RPAO) et du Cahier des clauses administratives particulières (CCAP).

Une seconde annulation est intervenue le 28 avril 2025, à la suite de nouveaux recours introduits par SMTD et par un groupement constitué des sociétés ECOTI et SOCOBAT. Si les griefs du groupement ont été écartés, la CRD a jugé fondée la contestation de SMTD, estimant que sa disqualification portait atteinte au principe d’égalité de traitement. Elle a dès lors annulé la décision d’attribution et ordonné la reprise de l’évaluation, en exigeant la production des précisions requises par le DAOI afin de permettre une analyse complète de la conformité des offres.

En résumé, les motifs récurrents d’annulation concernent essentiellement :

– des insuffisances dans l’analyse des offres ;

– un défaut de justification de la qualification du soumissionnaire retenu ;

– des atteintes au principe d’égalité de traitement.

Ces manquements traduisent une fragilité persistante de la procédure de passation.

Les responsabilités apparaissent partagées entre l’AC et la CPMP, conformément à l’article 12 du décret n°2022-083 portant application de la loi n°2021-024. En revanche, la responsabilité de la Sous-commission d’analyse des Offres (SCA) ne saurait être engagée, dans la mesure où, selon l’article 44 du même décret : « Les rapports d’analyse et de synthèse préparés par la Sous-commission d’analyse sont soumis à la CPMP. En cas de désaccord, la CPMP prend seule la décision d’attribution provisoire en motivant sa décision. »

A cet égard, l’analyse des actes pris par l’Autorité contractante (AC) et la Commission de passation des marchés publics (CPMP) révèle plusieurs incohérences administratives. Du côté de l’AC, le CCAP (point 1.8.b) continue de faire référence à un enregistrement du marché auprès des services des domaines relevant du ministère des Finances, alors que, depuis le décret n°2024-181 du 30 septembre 2024, cette compétence relève du ministre des Domaines. Par ailleurs, les procès-verbaux d’attribution de la CPMP mentionnent de manière fluctuante deux dénominations différentes pour le même ministère, ce qui reflète un défaut d’harmonisation dans les documents officiels.

 

 

Manque de rigueur

Ces imprécisions témoignent d’une certaine négligence dans la mise à jour des documents contractuels et administratifs, laissant présager un manque de rigueur dans la conduite globale de la procédure. Une telle légèreté, dès les premières étapes, soulève des interrogations quant à la qualité du suivi et au respect du cadre réglementaire dans les phases ultérieures du processus.

S’agissant de l’ARMP, ses missions, telles que définies à l’article 13 du Code des marchés publics, incluent notamment le suivi de la mise en œuvre régulière des règles applicables aux marchés publics, au moyen d’études et d’avis périodiques. En complément, l’article 37-1 du décret n°2022-085 lui confère la compétence pour initier ou faire réaliser, en toute indépendance, des contrôles externes ou des enquêtes sur les conditions de transparence et de régularité des procédures de passation.

Il convient toutefois de relever qu’aucune action de cette nature ne semble avoir été engagée dans le cadre du marché concerné, et ce, malgré les nombreuses décisions d’annulation intervenues. Cette absence d’intervention, dans un contexte marqué par une récurrence de contentieux, pourrait être perçue comme une limitation dans l’exercice effectif des missions de régulation assignées à l’ARMP.

La CNCMP, quant à elle, ne joue qu’un rôle limité dans la procédure de ce marché, celui-ci ayant été attribué par appel d’offres ouvert international. En effet, depuis la dernière refonte du Code des marchés publics, son contrôle a priori est désormais restreint aux procédures dérogatoires, telles que le recours à l’entente directe ou à l’appel d’offres restreint. En revanche, ses compétences en matière de contrôle a posteriori ont été renforcées, notamment en ce qui concerne la régularité et l’efficacité des procédures d’attribution. À ce titre, la Commission est tenue de publier, au plus tard le 1er avril de chaque année, un rapport d’audit annuel récapitulant ses travaux. Force est de constater que, à ce jour, le rapport 2024 n’a toujours pas été publié.

L’analyse du marché de collecte des déchets de Nouakchott révèle une fragilité structurelle du dispositif de passation des marchés publics, dès lors que les acteurs institutionnels ne jouent pas pleinement leur rôle de contrôle et de régulation. Ni le Code des marchés publics, ni les documents types tels que le DAO ne prévoient de mécanismes correctifs face à la répétition des irrégularités ayant conduit à trois attributions successives du même marché, toutes contestées, dont deux déjà annulées par la CRD.

Cette situation met en évidence les limites du cadre actuel, inopérant en l’absence d’un contrôle rigoureux, d’une mise à jour systématique des documents contractuels — alors même que les nouveaux documents types conformes au Code révisé ne sont toujours pas adoptés — et d’une régulation proactive. L’accumulation des manquements, qu’il s’agisse du défaut de justification des qualifications, des atteintes au principe d’égalité de traitement ou des incohérences administratives, démontre l’urgence d’un renforcement institutionnel, tant au niveau de la CPMP que de l’ARMP et de la CNCMP, afin de restaurer l’efficacité, la crédibilité et la continuité du système de la commande publique.

 

sidimohamed60@live.fr