La proclamation de l'état d'urgence en Tunisie plus d'une semaine après un attentat ayant coûté la vie à 38 touristes a suscité des interrogations dimanche, certains craignant une restriction des libertés publiques.
Les autorités ont par ailleurs révélé que le jeune auteur de l'attaque du 26 juin avait travaillé dans le tourisme comme "animateur".
Sa mère a de son côté affirmé que son fils, qui aimait "le breakdance et le football", avait été "victime (...) d'un lavage de cerveau".
Huit jours après l'attentat jihadiste le plus sanglant de l'histoire tunisienne, le président Béji Caïd Essebsi a proclamé samedi l'état d'urgence "sur tout le territoire tunisien pour 30 jours", période susceptible d'être renouvelée.
Une mesure d'exception décidée "au vu des dangers qui menacent le pays", a ajouté le chef de l'Etat en avertissant: "Si les évènements de Sousse se répètent, l?Etat va s'effondrer".
La Tunisie a déjà vécu plus de trois ans sous état d'urgence, du 14 janvier 2011, quelques heures avant la fuite du dictateur Zine El Abidine Ben Ali dans la foulée du soulèvement qui a lancé le "Printemps arabe", à mars 2014.
- Pouvoirs d'exception -
L'état d'urgence accorde des pouvoirs d'exception aux forces de l'ordre. Il autorise notamment les autorités à interdire les grèves et les réunions "de nature à provoquer ou entretenir le désordre", à fermer provisoirement "salles de spectacle et débits de boissons" ainsi qu'à "prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications".
Le ministre de l'Intérieur Najem Gharsalli a affirmé à la radio privée Shems FM qu'il contribuait "à sécuriser la Tunisie et à diffuser (...) un sentiment de sécurité".
Il s'agit d'"une décision salutaire qui doit être confortée par une adhésion populaire", a réagi le quotidien francophone La Presse.
Mais le quotidien arabophone Al Maghreb s'interrogeait sur les possibles conséquences pour les libertés en se demandant en une: "La guerre? contre les sit-ins, les grèves, la presse et la culture?!".
Le fait que le président ait commencé son discours à la nation de la veille par une évocation des grèves et mouvements sociaux a été abondamment commenté.
"Il y a vraiment une crainte que décréter l'état d'urgence puisse s'accompagner d'une criminalisation des mobilisations sociales", estime Hamza Meddeb, chercheur invité du Centre Carnegie au Moyen-Orient. "Il y a un malaise social dans le pays et face à cela, on décrète l'état d'urgence. Il y a des risques que ses implications soient utilisées pour réprimer les revendications sociales".
Grèves et sit-in se multiplient depuis la révolution de 2011, le chômage et la misère qui étaient à l'origine du soulèvement affectant toujours un pays où plus de 30% des jeunes diplômés sont sans emploi.
Ainsi, dans le bassin minier du centre du pays, les sites producteurs de phosphate ont récemment été paralysés pendant près de deux mois.
M. Meddeb doute par ailleurs de l'efficacité de l'état d'urgence car "le problème en Tunisie, c'est l'absence d'une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme qui mettrait en place une véritable collecte des renseignements, un contrôle des sites sensibles".
- 'Lavage de cerveau' -
Dans une interview publiée dimanche dans La Presse, le Premier ministre Habib Essid a affirmé que l'auteur de l'attentat, identifié comme Seifeddine Rezgui, un étudiant de 23 ans, avait "travaillé en tant qu'animateur" dans le tourisme.
La transformation de ce profil "normal", selon les autorités, a suscité la stupéfaction en Tunisie. M. Essid a affirmé qu'un "travail de fond (...) sur la culture et l'enseignement" devra être fait et que des réformes devaient être engagées dans l'économie et de l'éducation.
Le Premier ministre a ajouté que le pays travaillait à mettre en place des méthodes de "déradicalisation" des jeunes de retour des zones de conflit, alors que la Tunisie fournit le plus gros contingent -environ 3.000- aux groupes jihadistes.
La mère du tueur, Radhia Manai, a affirmé dans une interview au Sunday Times que son fils avait fait l'objet d'un "lavage de cerveau".
"Mon fils aimait la musique, le breakdance et le football. Ils ont dû le droguer et lui laver le cerveau pour qu'il fasse cette chose diabolique", a-t-elle dit.