Plusieurs ONG dénoncent "le tapis rouge" de la France au président égyptien Sissi

dim, 06/12/2020 - 20:22

 

France24 - Les défenseurs des droits humains se disent "stupéfaits de voir le tapis rouge déroulé" aux pieds du président égyptien à Paris.

Ils demandent que la France, à l'occasion de la visite d'Abdel Fattah al-Sissi de dimanche à mardi, "passe des discours aux actes" et conditionne son soutien militaire à l'Égypte à la libération des prisonniers politiques. Une visite d'État qui ne passe pas pour plusieurs ONG.

Alors que le président égyptien se rend à Paris, à partir du dimanche 6 jusqu'au mardi 8 décembre, une vingtaine d'organisations non gouvernementales appellent à manifester devant l'Assemblée nationale, mardi à 18 h, pour dénoncer "le partenariat stratégique entre la France et l'Égypte au nom de la lutte antiterroriste".

"On est stupéfait que la France déroule le tapis rouge à un dictateur alors qu'il y a plus de 60 000 détenus d'opinion aujourd'hui en Égypte", a déclaré à l'AFP Antoine Madelin, un des responsables de la FIDH (Fédération internationale des droits humains), une des organisatrices de la manifestation.

La venue d'Abdel Fattah al-Sissi prévoit notamment une procession militaire des Invalides à l'Élysée, un passage par l'Arc de Triomphe ainsi que des rencontres au plus haut niveau politique.

Dans leur appel, les ONG fustigent un pouvoir égyptien qui "se sert abusivement de la législation antiterroriste pour éradiquer le travail légitime en faveur des droits humains et supprimer toute dissidence pacifique".

En visite au Caire début 2019, Emmanuel Macron avait demandé au président égyptien de "protéger les droits humains". Il y a eu depuis "une escalade dans la répression" pour aboutir à "la situation la plus grave de l'histoire moderne de l'Égypte", selon Antoine Madelin. "Les avocats, les journalistes, les défenseurs des droits humains y sont poursuivis, harcelés, réprimés".

Pour ce responsable de la FIDH, "passer du discours aux actes" signifie "arrêter les ventes d'armes et de matériel de surveillance électronique par des sociétés françaises dans les conditions actuelles, au risque sinon de se retrouver complices de la répression".

La France devant les États-Unis pour les ventes d'armes à l'Égypte

L'ONG s'est félicitée de la libération, annoncée jeudi, de trois dirigeants de l'organisation égyptienne EIPR, après un appel de 17 ONG internationales et de personnalités comme les actrices Scarlett Johansson et Emma Thompson.

Mais "l'Égypte reste une dictature, si deux ou trois personnes sont libérées aujourd'hui, d'autres seront arrêtées la semaine prochaine", selon la FIDH.

Selon les défenseurs des droits, avec 1,4 milliard d'euros en 2017, la France devance désormais les États-Unis pour les ventes d'armes à l'Égypte.

Céline Lebrun est l'épouse de l'Égypto-Palestinien Ramy Shaath, une des figures du Printemps arabe cairote de 2011, en détention "préventive" depuis son arrestation le 5 juillet 2019. "Son dossier est complètement vide, les accusations (de "troubles contre l'État") sont dénuées de tout élément de preuve", explique cette enseignante en sciences politiques à l'AFP.

La détention provisoire de Ramy Shaath a été renouvelée à 19 reprises en 17 mois, Céline Lebrun n'a pu l'avoir au téléphone que deux fois, la première en mai 2020 et en août. Il est emprisonné avec 13 codétenus dans une cellule de 25 m² : "Il dort à même le sol sur des couvertures" alors que sa santé est précaire.

Obtenir des avancées pour les droits humains

Au-delà de son mari, Céline Lebrun évoque les "milliers de personnes détenues sans preuves ou pour des charges liées au terrorisme alors que les Nations unies ont critiqué l'utilisation par l'Égypte de cette législation". Elle attend du président Macron et des responsables politiques, que Sissi rencontrera à Paris, "un message fort et cohérent" aboutissant à la libération de son "époux et des autres prisonniers d'opinion égyptiens".

Pour cette enseignante, la France et l'Union européenne et les institutions internationales "détiennent des moyens pour faire entendre raison à l'Égypte".

Les défenseurs des droits recommandent de conditionner toute aide à l'Égypte à des avancées en matière de droits de l'Homme, comme a promis de recommencer à le faire le président-élu américain, Joe Biden.

Quant à la conviction de la France que l'Égypte de Sissi serait un "facteur de stabilisation régionale", les défenseurs des droits s'inscrivent en faux. "J'ai l'impression que l'Égypte ressemble de plus en plus à une cocotte minute prête à exploser", estime Céline Lebrun, alors que des acteurs de la société civile comme son mari pourraient "canaliser une opposition pacifique et démocratique".

Avec AFP