Après Dakar 2018, les acteurs de la pêche artisanale du Sénégal et de la Mauritanie se sont réunis à Nouakchott sur l’initiative du projet « PROMOPECHE/BIT »,financé par l’Union européenne, en partenariat avec le Ministère des Pêches. L’atelier a porté sur la bonne gestion transfrontalière des produits halieutiques et les problèmes de voisinage.
Nouakchott a abrité du 23 au 25 janvier 2019 la « Rencontre sous-régionale des acteurs de la société civile de la pêche artisanale sur la gouvernance transfrontalière et le développement des pêcheries entre la Mauritanie et le Sénégal ». Cette rencontre, après celle de juillet 2018 à Dakar, a permis un échange entre acteurs des deux pays. Elle intervient après les nouveaux accords de pêche accordés au Sénégal, 400 licences pour les Guet-NDariens.
La délégation sénégalaise conduite par l’Honorable Mamadou Thiam Thioune,Conseiller aux Collectivités locales et territoriales du Sénégal et Coordinateur du Comité de dialogue national, de la pêcherie et de l’aquaculture, était composée d’une dizaine de responsables de fédérations et d’associations de pêcheurs et mareyeurs.
La délégation mauritanienne comprenait également des représentants d’organisations socioprofessionnelles, Fédération nationale de la pêche artisanale (FNPA), Fédération libre de la pêche artisanale (FLPA) et Fédération des mareyeurs.
La pêche artisanale, priorité stratégique pour les acteurs
Ouvrant les travaux, M.Dia Amadou Bocar, Directeur de la Pêche Artisanale et Côtière, a déclaré que la Mauritanie a inscrit la préservation et l’orientation des ressources dans ses priorités à travers la Stratégie nationale 2015-2019 de gestion responsable pour un développement durable des pêches et de l’économie maritime. Il a mis en exergue le rôle de la société civile dans les prises de décisions, partant des réalités du terrain et les besoins des acteurs.
Auparavant, le président de la FNPA avait brièvement présenté sa structure, 9.000 membres présents dans plusieurs régions du pays. Au nom du BIT, M.Cheikh Thiam a brièvement décrit « PROMOPECHE » et son rôle dans le dialogue social et la concertation entre les acteurs, annonçant la sortie d’une étude réalisée par le BIT sur les associations professionnelles de la pêche artisanale.
Mamadou Thiam Tioune a de son côté mis en exergue le rôle de la société civile sénégalaise et sa forte implication dans la prises de décision. Jorge Valliente de la Délégation de l’Union européenne a mis en évidence le caractère prioritaire de la pêche artisanale et côtière et son impact dans le développement socioéconomique, à travers l’emploi et la sécurité alimentaire.
« L’Union européenne, dans son appui aux efforts du gouvernement mauritanien, tient à souligner l’importance de la conservation de la ressource par une gestion durable, rationnelle et concertée entre l’Etat et les opérateurs » a-t-il déclaré.
Le secteur de la pêche en Mauritanie et au Sénégal
Les participants ont suivi par la suite une communication de Guèye Djibril, Chef de service à la Direction de l’Aménagement des Ressources et des Etudes (DARE) sur la part du secteur maritime dans le Budget national (25%), dans le PIB (10 à 12%), l’emploi (36.000 travailleurs) avec une part de la pêche artisanale de 2% au PIB pour 9.200 pirogues recensées. Il a également évoqué le Décret 2015-159 portant Code des pêches et l’Arrêté 1724 portant types de concession et droit d’usage, quotas, accès à la ressource et redevances.
Quant à Mamadou Thiam Tioune du Sénégal , il a présenté une communication sur la gestion des ressources dans son pays et le rôle des Collectivités locales de la pêche artisanale qui participent à la délivrance des concessions, l’identification des pirogues, l’accès aux aires marines protégées, la gestion des quais et la co-surveillance des côtes avec les agents de l’Etat. Il a souligné que Saint-Louis reste incontournable dans les relations avec la Mauritanie, d’où l’impérieuse nécessité de trouver des solutions pour une bonne gestion de voisinage.
Gilles Cols de Promopêche a pour sa part présenté le « Concept de chaîne de valeur appliquée à la pêche artisanale », après une communication introduite par Bâ Ibrahima sur la sécurité en mer.
Au cours des travaux de groupe, les participants ont relevé les faiblesses et les forces du secteur, tout en proposant une recommandation clé, la mise en place d’un Comité sous-régional de dialogue Mauritanie-Sénégal pour la pêche artisanale.
Les pêcheurs sénégalais ont été davantage sensibilisés sur le respect de la législation mauritanienne en matière d’accès à la ressource.
Plusieurs questions ont été abordées au cours de la rencontre, les conflits entre pêcheurs, la saisie de pirogues en situation irrégulière, la signalisation de la frontière maritime, les conflits avec les gardes-côtes mauritaniens, le problème des cartes de séjour, la commercialisation entre les deux pays et les difficultés des mareyeurs mauritaniens sur les marchés sénégalais, entre autres. A la fin des travaux, une déclaration dite de Nouakchott a été présentée.
Réactions de quelques participants
Bara Sow, Chargé de mission à la Présidence de la République du Sénégal, Porte-parole des mareyeurs exportateurs : « Dans le cadre de la pêche artisanale, ce sont les acteurs qui connaissent mieux les réalités du secteur.
Aussi, cette rencontre, après celle de Dakar, a permis de poser les problèmes et de dégager des solutions que nous allons soumettre aux dirigeants des deux Etats pour que les décisions qui seront prises soient conformes aux réalités du terrain et aux besoins des acteurs. Nous avons parlé de l’affrètement d’équipages sénégalais par des mareyeurs mauritaniens sans aucune garantie et sans que l’Etat mauritanien ne soit au courant, ce qui est la source de tous les problèmes ».
Mamadou Thiam Tioune, Chef Délégation du Sénégal : « cet atelier est une contribution à la mise en œuvre des Accords de pêche entre la Mauritanie et le Sénégal par les organisations de la société civile. Elle s’inscrit dans une dynamique de dialogue, car l’effort des Etats en matière de coopération bilatérale doit être complété par la société civile et les populations pour assurer l’atteinte des objectifs.
Quand on est porteur d’une telle mission nous avons l’obligation de mieux sensibiliser, informer et communiquer. Nous sommes en train de voir, dans le domaine économique, comment les Etats peuvent nous faciliter la tâche pour un partenariat gagnant-gagnant entre les acteurs des deux pays. Nous voulons que la Commission qui aura en charge la concertation, le conseil et l’information puisse arriver à tisser des facilités sur l’aspect lié à la commercialisation et que cet aspect soit inclus dans les Accords ».
Fatimata Bâ, mareyeuse à Nouadhibou : « cette rencontre a permis aux acteurs des deux pays de se rencontrer, d’échanger et de renforcer leurs capacités. Les mareyeurs mauritaniens, surtout les femmes, rencontrent d’énormes difficultés sans aucune facilité. Le poisson est de plus en plus rare et chère et nous ne bénéficions d’aucun financement, contrairement aux mareyeurs sénégalais qui sont soutenus par leur Etat ».
Harouna Sall, Coordinateur nationale chargé des aspects socioéconomiques à Prompêche : « l’atelier a permis un échange fructueux entre les acteurs du Sénégal et de la Mauritanie. Il est vrai que les acteurs sénégalais sont en avance car ils sont aujourd’hui fortement impliqués dans toutes les politiques liées au secteur.
De quoi permettre aux organisations socioprofessionnelles mauritaniennes de s’inspirer de ce modèle en réclamant une plus grande participation dans les politiques qui concernent la pêche artisanale.
Aujourd’hui, une tendance vers cet objectif se dessine à travers un cadre de concertation dénommé « Cogestion », plateforme qui réunit syndicats et fédérations du secteur, et qui peut se positionner comme interlocuteur crédible.
Il est vrai aussi que le projet « Promopêche », par-delà la formation des acteurs, le renforcement de leur capacité et la construction d’infrastructures, a participé également à la formulation d’une vision de partage pour une meilleure implication des acteurs dans les processus d’échange, de dialogue et de concertation ».
Traoré Mohamed, cadre au Ministère des Pêches et l’Economie Maritime : « cet atelier a permis aux acteurs des deux pays de mettre à plat leurs difficultés et leurs problèmes. Ils ont pris conscience de la nécessité de préserver la ressource et d’accompagner les Etats dans la bonne gestion de la mer. Ce genre de rencontre est à saluer, eu égard aux relations étroites entre les deux peuples.
Cependant, il y a un amalgame entre le respect de la réglementation ainsi que les conflits qui en résultent entre acteurs et l’Etat d’une part, et d’autre part, les conflits qui opposent les acteurs des deux pays entre eux. Je pense que si chacun respecte la législation de l’autre, les problèmes se résorberont d’eux même ».
Mohamed Moustapha Sidi Yahya, économiste de pêche à l’IMROP : « cet atelier est une bonne simulation qui a permis aux acteurs des deux pays d’identifier les difficultés auxquelles ils sont confrontés et tenter ensemble de leur trouver des solutions.
Ce type de rencontre est constructif surtout pour nous gens de la recherche, mais aussi pour les administrateurs qui sont en contact direct avec les acteurs de la pêche. Il faut dire, eu égard à la proximité géographique et historique, que le premier candidat pour l’emploi dans le secteur en Mauritanie est naturellement le pécheur sénégalais.
Mais il faut dire que la ressource devient de plus en plus rare et les acteurs ne voient que leurs intérêt, ce qui est source de conflits permanents avec l’Etat, mais aussi entre acteurs des deux pays ».
Mathurin Ndiaye, Facilitateur de la Plateforme « Cogestion » de la pêche artisanale (Mauritanie) : « nous sommes satisfaits car l’atelier a permis de lever bien de dilemmes. Avant, certains acteurs pensaient qu’ils pouvaient se substituer à l’Etat pour régler des problèmes et les pêcheurs sénégalais croyaient que ce sont les pêcheurs mauritaniens qui les empêchaient de travailler.
Tous se sont maintenant rendu compte que c’est la décision d’un Etat qui a décidé de préserver sa ressource. Donc, c’est l’Etat qui fixe ses règles que tous les acteurs, nationaux ou étrangers, doivent appliquer à la lettre. L’objectif est d’assurer une gestion durable et c’est fait dans l’intérêt des pêcheurs.
Si aujourd’hui le poisson disparaît que deviendront les populations de Ndiago et les Imraguens pour qui la pêche n’est pas seulement une activité économique, mais une partie vitale de leur culture ».
Cheikh Aidara (L'Authentique)