Dans son documentaire «À vous de juger», la cinéaste Brigitte Chevet raconte les expériences choc des jurés populaires dans les cours d’assises en France. © Fipadoc 2020
Texte par :Siegfried Forster
Comment rendre justice ? « Là, on est plongé au cœur de la comédie humaine. » La cinéaste Brigitte Chevet a cueilli des expériences passionnantes de jurés populaires dans les cours d’assises en France. Chaque année, 23 000 Français sont tirés au sort, appelés à juger un viol, un infanticide, un meurtre… « À vous de juger » est diffusé ce lundi 17 février à 23h30 sur la télévision publique France 3.
Une fois tiré au sort, c’est un devoir citoyen d’y aller. Être désigné juré d’une cour d’assise en France, leur a ouvert les yeux sur la justice de leur pays. Pour beaucoup, c’est une expérience enrichissante, pour d’autres, plutôt traumatisante, à l’image de l’interdiction de montrer des émotions pendant les longues séances, être obligé d’attendre les pauses pour pouvoir enfin pleurer. Leurs témoignages, filmés avec une immédiateté surprenante, remplis de frayeurs et de fascination, nous permettent de comprendre la difficulté d’aboutir à une « intime conviction » par rapport à la culpabilité d’un accusé. Les grands plans de la caméra installent une proximité délicate, nous plongent dans une intimité subtile avec les jurés, rendant palpable un processus de décision douloureux, tiraillé entre réalité, probabilité et doute, entre l’émotion et la raison. Et demain, cela sera peut-être à nous de juger. Entretien.
RFI : À vous de juger est un documentaire important sur la réalité judiciaire dans un pays comme la France où le sentiment d’injustice semble redoubler. Avez-vous trouvé une réponse à la question ultime : comment rendre la justice au nom du peuple ?
Brigitte Chevet : Je n’ai pas cette prétention de résoudre cette question très importante et très large. Mon film répond à la question : qu’est-ce qu’une expérience démocratique ? Quand on prend le temps d’y participer, cela ne peut être que positif. Même si rendre la justice reste forcément imparfait – cela peut être très frustrant, violent –, mais une justice rendue par des gens ordinaires est quand même important. La justice est rendue au nom du peuple français. Juger quelqu’un en cour d’assises est vraiment l’expérience démocratique ultime. C’est là où le bulletin de vote pèse le plus lourd.
Comment devient-on juré d’assises ?
On est tiré au sort. C’est un tirage à partir des listes électorales. À partir du moment où vous avez plus de 23 ans, que vous n’êtes pas privé de vos droits civiques, que vous êtes inscrit sur les listes électorales, vous pouvez être tiré au sort. Il ne faut pas être non plus policier au magistrat ni connaître les gens qui sont jugés ou impliqués dans l’affaire. Mais si vous réunissez les critères, vous avez une chance sur mille trois cents de recevoir dans votre vie une lettre du ministère de la Justice. Chaque année, il y a 23 000 Français tirés au sort pour devenir juré d’assises. Certains n’ont clairement pas envie d’y aller. Mais, en France, on n’a pas le choix, c’est le tirage au sort.
Qu’est-ce que cela provoque chez les jurés d’assises d’affronter le regard d’un homme ou d’une femme accusés d’être un assassin, un meurtre, un violeur…
Tout le monde peut pousser la porte des Palais de justice. C’est ouvert, gratuit, tout le monde peut y aller, assister à des procès, mais on n’y va pas. Et on ne sait pas très bien comment cela se passe. Moi, j’ai découvert un rituel. J’ai découvert cette expérience de juger l’autre. Une expérience très marquante. La cour d’assises, ce sont des choses pas drôles, très graves, des braquages, des viols, des infanticides, des meurtres… Là, on est plongé au cœur de la comédie humaine. Ce n’est pas facile. C’est choquant pour beaucoup de gens. Une dame raconte qu’elle a été obligée de visionner les viols filmés par le pédophile violant des enfants de 12 ans devant la caméra. Elle a mis des mois à se débarrasser des cauchemars que cela a engendrés pour elle. C’est peut-être un cas extrême, mais il y a une expérience qui est de l’ordre du choc.
Être juré, cela change-t-il la vie d’un homme ou d’une femme ?
Globalement, j’ai l’impression que oui. C’est quelque chose qui les marque énormément. Cela les a énormément secoués. Certains étaient fascinés par le lieu de justice et ils continuent aller voir des procès, à s’intéresser au monde judiciaire. D’autres restent assez critiques sur le rôle des jurés, se sentant plutôt incompétents. Mais, la majorité était quand même contente de l’expérience.
Brigitte Chevet, la réalisatrice du documentaire « À vous de juger ». © Siegfried Forster / RFI
Après avoir écouté les jurés, quel est votre jugement concernant le système judiciaire ?
Je trouve qu’il ne fonctionne pas si mal. Aujourd’hui, il y a une réforme en expérimentation en France qui vise à réduire le nombre de procès. En première instance, il y aurait la moitié des procès qui serait jugée sans jurés d’assises, par rapport à aujourd’hui. C’est vrai, les jurés, cela coûte un peu plus cher et cela prend plus de temps. Et aujourd’hui, la justice en France a des problèmes de rapidité et de moyens. Les magistrats m’ont dit : si cette réforme a lieu, cela signifiait des assises beaucoup plus rapides, mais aussi beaucoup plus expéditives. Moi, je pense qu’il est important de garder cette justice populaire, parce que c’est un héritage de la Révolution française. Avant, il y avait que les nobles qui jugeaient les autres. Donc, c’est peut-être imparfait, mais c’est important, symboliquement.
« Les cours d’assises, c’est un peu comme les égouts de la société qui remontent à la surface », remarque l’un des jurés dans votre film. Qu’est-ce que les juges apprennent des jurés ?
Pour les juges, c’est l’occasion de se rafraîchir le regard. Eux, ils ont tous les jours les deux mains dans les « égouts » et à se confronter ce qu’il y a le pire dans la société. D’avoir des regards neufs, je pense que cela leur fait du bien. Cela leur permet de ne pas rester dans une justice trop froide ou automatique.
► À vous de juger, documentaire de Brigitte Chevet, présenté au Fipadoc 2020, est diffusé lundi 17 février, à 23h30, sur France 3.