L'Inde: l'autre guerre commerciale de Donald Trump

mer, 26/02/2020 - 12:27

RFI

Le président des États-Unis Donald Trump et le Premier ministre indien Narendra Modi, le 24 février 2020. REUTERS/Al Drago

Par :Mounia Daoudi

Le président américain entame ce 24 février une visite officielle de deux jours dans le sous-continent, qui doit le mener dans le Gujerat, le riche État du Premier ministre Narendra Modi. Ce dernier lui aurait promis des millions de personnes pour l’accueillir. Notamment à Agra pour l’incontournable Taj Mahal, mais surtout à New Delhi où les sujets de désaccords ne manquent pas.

Contrairement à la guerre commerciale avec la Chine, cet autre conflit opposant les États-Unis et l'Inde est beaucoup moins médiatisé. Cela s'explique aussi par son intensité moindre, pour le moment, mais il porte en lui les mêmes germes que le conflit précédemment cité.

En cause, le déficit commercial des États-Unis : 25 milliards de dollars en 2018 vis-à-vis de l'Inde pour un total de 148 milliards de biens échangés. L'Inde est en effet devenue « la reine des taxes » et a récemment accusé Donald Trump, qui a lancé les hostilités en juin dernier. New Delhi s’est vu retirer le statut préférentiel qui lui permettait d’exporter pour près de 6 milliards de dollars de marchandises sans droit de douane.

L’Inde a répliqué en appliquant les taxes qu’elle menaçait de mettre en place sur les importations d’acier américain mais aussi sur des produits agricoles comme les amandes californiennes, ce qui représente 650 millions de dollars importées par an. Depuis les responsables des deux pays négocient âprement un accord commercial mais sans réelle avancée. Donald Trump l’a lui-même reconnu en reportant son « big deal » avec l’Inde à après la présidentielle américaine.

Le difficile accès au marché local pour les entreprises américaines

« L’Inde nous maltraite depuis des années », s’est de nouveau plaint Donald Trump à la veille de son départ. Et on peut difficilement lui donner tort. Le protectionnisme fait partie de l’ADN de l’économie de l'Inde moderne. Jawaharlal Nehru (1889-1964), le premier Premier ministre de la toute jeune démocratie indienne, avait imposé de développer la production locale pour remplacer les importations. C'était, pour lui, la clé du développement et de l’autosuffisance du pays.

Ce n’est qu’au début des années 1990, après une grave crise des changes et l’intervention du FMI, que l’Inde a commencé à ouvrir son économie. Mais on ne met pas fin en un claquement de doigt à près d’un demi-siècle de protectionnisme. Aujourd’hui, sous l’impulsion du Premier ministre Narendra Modi, l’Inde ouvre grand les bras aux investisseurs étrangers même si elle continue à réserver la plus grande partie de son marché intérieur aux entreprises indiennes dans l’espoir de renforcer la capacité manufacturière du pays. C’est cette recette qui a permis à la Chine d’afficher pendant des années une croissance insolente et de devenir la deuxième économie mondiale.

 

Fleurs, tapis rouge et tableaux vivants pour accueillir le président américain Donald Trump à Ahmedabad, dans le Goujarat, l'Etat d'origine du Premier ministre indien Narendra Modi. REUTERS/Al Drago

Le protectionnisme au cœur du bras de fer entre Washington et New Delhi

Les promesses d’un gouvernement minimum et d’une gouvernance maximum qui ont porté Narendra Modi au pouvoir en 2014 ont fait long feu. Certes, le Premier ministre indien a introduit des changements importants dans l'économie, comme par exemple une TVA harmonisée et un nouveau code des faillites. Mais l’État contrôle encore les banques et des pans entiers de l’industrie. Sans compter qu’avec le ralentissement de la croissance et le retour de l’inflation, Modi n'a eu d'autre choix que de jouer la carte du protectionnisme. Son gouvernement vient pour le deuxième budget consécutif d’augmenter les droits de douane sur de nombreux produits. Des taxes qui ont directement frappé les importations américaines et conduit le représentant au commerce Robert Lighthizer à annuler une visite à New Delhi. Aujourd’hui les droits de douane indien sont parmi les élevés au monde. 

Mais il n'y a pas que les barrières douanières, le Make in India est également visé. Ce programme lancé par Narendra Modi à son arrivée au pouvoir renforce les contraintes déjà importantes en matière de production locale et surtout de transfert de technologies. Mais le pire est sans doute à venir pour les entreprises américaines, notamment de la Silicon Valley. Un projet, qui obligerait les sociétés étrangères à stocker localement toutes les données liées aux consommateurs indiens, est à l'étude. Ils forcerait ces entreprises à utiliser les datas centers indiens et repenser leur stratégie.

Autre point de désaccord, l'Inde a modifié sa réglementation en matière de commerce en ligne, au grand dam d'Amazon et de Wallmart qui cherchent à s'imposer sur ce qui est considéré commer le plus grand marché numérique encore inexploité du monde.

À défaut d’un big deal, une visite inutile ?

Sans accord majeur, Donald Trump et Narendra Modi pourraient mettre en place une trêve en attendant la conclusion de négociations qui pourraient prendre des mois. Les deux dirigeants devraient afficher leur entente dans un domaine, celui de la défense, avec un contrat de près de 2 milliards et demi de dollars pour l’achat d’hélicoptères militaires américains.

New Delhi pourrait également, à en croire l'agence Bloomberg, donner son accord à une baisse des taxes douanières sur les Harley-Davidson et certains produits agricoles comme le foin de luzerne et les noix de pécan.

En revanche pas d'avancée sur les équipements médicaux, que les États-Unis veulent vendre davantage en Inde ou sur les produits laitiers. Les producteurs américains, qui réprésentent une base électiorale clé pour Donald Trump, réclament davantage de débouchées sur un marché indien où les agriculteurs représentent aussi un électorat crucial pour Narendra Modi.